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vaguement qu’elle sera précieuse, que les choses s’éclaireront à sa lumière ; mais il faut bien, si l’on veut un jour en profiter, l’affiner, l’épurer, la dépouiller des éléments concrets qui entrent dans sa représentation, et qui, la faisant prisonnière de vues plus ou moins grossières et étroites, voilent sa clarté et arrêtent son essor. De là une évolution nécessaire du concept qui s’éloignera sans cesse du concret et du sensible pour devenir de plus en plus apte à jouer son rôle scientifique.

L’étude qu’on va lire est une application de ces quelques idées au concept du nombre dans la science grecque. Elle est extraite d’un cours fait aux étudiants de Montpellier : nous lui laisserons, pour plus de clarté, la forme familière sous laquelle elle leur a été présentée.


I


« Les choses sont nombres », ont dit les Pythagoriciens. — Quel peut être le sens de cette formule mystique ? Si, pour le savoir, on consulte tous les écrits touchant à cette question, depuis les fragments de Phololaüs, le premier Pythagoricien dont il nous reste quelque chose, jusqu’aux élucubrations de Théon de Smyrne, sans négliger les commentaires d’Aristote et de tous ceux qui après lui ont interprété la formule pythagoricienne, on éprouve une sensation de malaise indéfinissable ; on se demande s’il n’est pas certaines idées qui dépassent votre intelligence, ou bien si ceux dont on lit les écrits n’étaient pas dépourvus de raison.

Eh bien, au risque de paraître inaugurer une méthode historique nouvelle, nous allons, si vous voulez bien, laisser d’abord de côté ce galimatias d’opinions et de commentaires sur la formule des Pythagoriciens. Aussi bien ne contient-il pas un mot — en dehors de la formule elle-même — qu’on soit en droit de faire remonter à Pythagore. Nous essaierons une explication que semble indiquer le bon sens, puis, si elle s’accorde avec ce que nous savons de l’œuvre pythagoricienne, si elle ne fait pas du cas des Pythagoriciens un cas isolé, exceptionnel, si au contraire elle nous permet de le rattacher à un ensemble de faits courants normaux, dans l’histoire des idées, elle sera au moins aussi bien justifiée que toute explication fondée sur des textes que d’autres contredisent.