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mine à être, et que, pour ainsi dire, elle appelle de leur nom.

Ce qui est donc de toute éternité dans la Pensée divine, ce sont d’abord les Idées individuelles, les « Essences particulières affirmatives » ; ce sont ensuite, pour qu’il y ait une unité intelligible, des rapports entre ces Idées, entre ces Essences. Mais ces rapports ne sont plus des rapports de hiérarchie entre des types généraux ; ce sont des rapports de communication entre les individus, fondés sur leurs propriétés communes, rapports d’affinité et de parenté. L’individu se comprend et se parfait par ce qui est de l’individu : il est donc toujours la mesure de l’ordre dans lequel il entre, ou plutôt de l’ordre qu’il contribue à instituer. Ce que Spinoza porte ainsi à l’absolu dans la Pensée divine, c’est, avec l’affirmation de l’être individuel, la conception moderne de la loi. La loi n’est pas une forme universelle d’explication, plus ou moins extérieure à son objet, elle est la relation immanente, immédiate qui unit les choses singulières ; elle est l’expression de l’acte par lequel les individus se complètent et s’unissent, par lequel ils expriment dans la diversité de leurs existences l’unité essentielle de l’Être infini. Aussi a-t-elle plus qu’une valeur symbolique ou représentative : elle est vraiment une puissance que l’homme peut faire sienne en la concevant comme un enchaînement dialectique d’idées, comme un principe de cohésion systématique, en agissant d’après elle comme s’il était elle. L’individu qui comprend clairement la loi nécessaire de la nature se comprend lui-même par là : il ne subit pas l’ordre, il le fait.

De cette unité éternelle, dans laquelle l’être et la loi se pénètrent au point de paraître identiques, la Géométrie est la traduction adéquate et certaine. La Géométrie est la vérité même, précisément parce qu’elle n’admet pas la vérité, c’est-à-dire une sorte de type universel auquel se subordonneraient ses démonstrations, parce qu’elle est tout entière dans sa marche rationnelle, et qu’elle exclut rigoureusement toutes les qualifications extrinsèques. Elle est la vérité parce qu’elle déduit les notions les unes des autres par leurs propriétés respectives, n’ayant d’égard qu’à ce qu’elles contiennent, parce qu’elle n’altère en rien les objets auxquels elle s’applique et qu’elle les prend tels quels comme intelligibles. L’idée que considère le géomètre est, en même temps que claire et distincte, essentiellement individuelle : elle a un sens déterminé qu’on ne peut ni amplifier, ni réduire, qui est sa propriété interne. Et quand elle entre dans l’ordre de la déduction, ce n’est pas qu’elle s’amoindrit, c’est au contraire