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simplicité nécessaires dans la définition des principes généraux (la morale, la conscience, le bonheur), dans l’énonciation des droits et devoirs généraux, puis des droits et devoirs particuliers aux enfants. Le succès déjà acquis par ce petit livre en affirme l’excellence.

Morale pratique, lectures et résumés, par M. L. Troufleau. 1 vol. in-18 de 544 p. Paris, Aillaud, 1906. — L’auteur de ce recueil de lectures empruntées aux écrits des moralistes anciens et modernes l’a composé avec un soin judicieux, éclairé par l’expérience de douze années d’enseignement (Cours de morale pratique de 3e année d’enseignement secondaire des filles). Les fragments sont groupés en trente-deux leçons précédées chacune d’un résumé explicatif. L’ensemble de ces résumés forme un cours de morale succinct mais complet, dont les notions sont développées et justifiées par des auteurs choisis. Excellente méthode d’enseignement éclectique, qui donne ainsi à la parole du maître l’appui et la confirmation des penseurs de toute époque et de toute civilisation. Ce petit livre, spécialement composé pour des jeunes filles, a une utilité et une portée générales, qui le recommandent non seulement comme livre d’éducation mais aussi comme manuel de lecture courante.

Mariage et Contrat, Étude historique sur la nature sociale du droit, par Alfred Détrez, avocat à la Cour d’Appel, docteur en droit. 1 vol. in-8 de 309 p., Paris, Giard et Brière, 1907. — C’est une excellente histoire de l’application du concept de contrat au mariage. L’auteur établit fortement que la notion de contrat, utilisée aujourd’hui par les partisans de l’extension du divorce pour signifier le droit des volontés individuelles à délier ce qu’elles ont lié, fut au contraire appliquée progressivement au mariage pour servir à dégager son caractère civil, social, contre les prétentions de l’Église et pour mieux accentuer la surveillance de la société sur les unions. Non seulement le mariage ne fut jamais considéré comme un simple contrat relevant de la pure volonté individuelle, mais encore, jusqu’à l’époque révolutionnaire, les progrès et les reculs de la conception du mariage comme contrat civil marquent les progrès ou les reculs de la surveillance sociale restreignant la liberté des dissolutions volontaires. Si la notion de contrat a pris ensuite, dans son application au mariage, un sens opposé, nettement individualiste, M. Détrez y voit avec raison un exemple de plus à l’appui de cette loi d’évolution des concepts juridiques selon laquelle un concept qui a longtemps servi à systématiser, à unifier un ensemble de règles érigées par une société donnée, peut, sous l’inflence de certaines circonstances, survivre à son premier usage et servir à unifier des tendances toutes nouvelles. Ainsi les concepts peuvent nous tromper sur la réalité qu’ils recouvrent. Par delà la logique des mots, il faut chercher la vie, les attitudes sociales qu’ils ont voulu représenter et systématiser. En particulier, selon M. Détrez, « le rôle politique qu’avait joué le concept de contrat… (dans la lutte du pouvoir civil contre l’Église) l’emporte (à l’époque révolutionnaire) sur son rôle social qui n’avait jamais eu l’honneur de servir aux luttes publiques » (p. 213). Ainsi contrat devint synonyme, non plus d’autorité sociale, mais de liberté individuelle. L’explication, sans doute incomplète, parait cependant à retenir. — Une seconde thèse nous paraît moins établie et moins précisée. Se fondant sur l’impuissance de la loi à réformer les mœurs, l’auteur se montre fort sceptique sur la possibilité de maintenir l’institution traditionnelle du mariage contre le courant individualiste qui nous emporte vers la liberté toujours plus grande des unions. Si la conception contemporaine du mariage-contrat lui paraît un contresens historique, ce n’est donc pas qu’il blâme les tendances qu’elle recouvre : le contrôle social sous l’aspect d’un formalisme lui paraît chose contraire aux exigences de la vie. « Le problème du droit, c’est le problème de la responsabilité » (p. 281). Laissons donc toute liberté aux unions, mais « en un temps où le sens de l’engagement s’affaiblit, où le sentiment de l’honneur est de plus en plus rare » (p. 282), établissons solidement, par la recherche de la paternité et une série de mesures analogues, le maximum de responsabilité de l’homme vis-à-vis de la femme et vis-à-vis des enfants. Tout le monde souscrira sans doute à la deuxième partie de cette thèse : la loi doit se plier aux faits qu’elle ne peut réformer et les organiser dans le sens du droit ; au lieu de mépriser l’union libre, organisons-la. Mais si l’union libre est un fait croissant, elle n’est pas le fait unique. La question se pose de savoir si au nombre considérable d’individus qui acceptent et demandent encore la réglementation légale des unions, la loi doit en quelque sorte répondre par la suppression de tout formalisme. Comme l’a montré l’école sociologique, s’il y a des courants que la loi ne remonte pas, il y a aussi des idées, des sentiments qu’elle suggère ou développe, parce qu’elle en est elle-même imprégnée et nourrie.