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plissent pas moins leur but : illustrer les vérités que l’auteur se propose de mettre en lumière.

Il n’est possible ici que de noter les idées essentielles de cet ouvrage. Ce qui en fait l’unité, c’est l’idée que l’art est avant tout affaire d’émotion esthétique, c’est-à-dire, en somme, de sensibilité. L’art n’a point pour objet, comme le croient les objectivistes, soit de faire descendre sur la terre la beauté en soi, entité métaphysique qui n’a de réalité que dans l’imagination des philosophes (idéalisme), soit de copier la nature (réalisme). Il est quelque chose de proprement humain ; et il a ses racines dans l’émotion de l’artiste qui crée l’œuvre d’art. « La beauté n’est pas autre chose que cette émotion agréable, ressentie par nous en présence des choses que nous trouvons belles. Elle est ce jeu intérieur, cette féerie intime et délicieuse que ces choses déterminent en nous, l’épanouissement harmonieux et intégral de toutes les puissances de notre être en fonction de la sensibilité et sans autre but que leur développement même » (p. 29). M. Paul Gaultier se prononce donc pour le subjectivisme. Mais les subjectivistes sont incapables de nous dire ce qui nous vaut cette émotion. Ils la considèrent comme quelque chose d’individuel et de fuyant, incapable de faire sur soi l’unanimité. La conclusion est exagérée. Il ne faut pas renoncer à donner une définition objective de la beauté. Seulement elle n’est pas autre chose que de l’émotion esthétique incarnée, solidifiée, ou concrétée (pp. 32–33). Il n’y a donc pas d’art sans émotion esthétique ; et d’autre part il n’y a d’émotion esthétique, partant de beauté véritable, que dans l’art. Nous ne nous avisons de conférer la beauté à la nature que sur l’instigation des artistes, comme le démontre l’histoire du sentiment de la nature. Ce qui fait la beauté d’une œuvre d’art, c’est la personnalité même de l’artiste. Ainsi l’art est supérieur à la nature, au même titre que la science et la moralité, parce que, si réaliste qu’il puisse être, il porte toujours en soi un idéal esthétique (p. 53). Cela n’empêche pas qu’il ne lui doive beaucoup. « Si la sensibilité de l’artiste ne vibre que par où elle est susceptible de vibrer, s’il ne riposte à ce qui l’intéresse que par ce qui l’intéresse ; si les impressions sensorielles ne sont, en un mot, action du sujet qu’autant qu’elles sont réponses du sujet, il n’en est pas moins vrai qu’elles sont réponse du sujet à la sollicitation de l’objet. L’émotion esthétique naît de cette participation du sentant et du senti, de leur réaction réciproque, de leur collaboration pour ainsi dire » (pp. 56–88). L’originalité de l’artiste n’est donc pas une anomalie, mais « l’ouverture qui lui est ménagée sur la réalité » (p. 61). Elle est la garantie de sa véracité, parce qu’elle « le conduit à pénétrer dans le secret des existences » (p. 63). On peut, donc dire avec Voltaire que le style est la chose, à condition de l’entendre interprétée par une personnalité (p. 66). Et d’ailleurs la nature annonce déjà l’art et la beauté par sa spontanéité, sa sensibilité, sa force d’appétition qu’on peut assimiler à un jeu (p. 67), ou, si l’on veut encore, par son idéalisme. « D’où il suit que l’art est doublement idéaliste, du fait de l’artiste d’abord, et de la nature qu’il interprète ensuite » (p. 72). Aussi le choix des sujets conserve-t-il, dans l’art, une grande importance. On peut donc dire, en définitive, que l’art est un jeu producteur de beauté, et un jeu sérieux, un plaisir du sentiment et de l’intellect en même temps que de la sensibilité, et par son intermédiaire (pp. 1–80).

De là résultent tous les enseignements dont l’œuvre d’art est susceptible, sur la personnalité de l’artiste, sur la sensibilité d’une époque, sur le caractère permanent d’un peuple et jusqu’à ses conceptions particulières. De là aussi les rapports de l’art avec la moralité (pp. 123–176. — V. en particulier, pp. 129–136, une critique du livre de M. Paulhan). De là encore sa valeur sociale. Il est social dans sa nature, parce qu’il est le produit de la collaboration de l’artiste avec les vivants ou les choses : il est une société d’âmes ; dans son origine, parce qu’il exprime l’ambiance d’une société ; dans ses effets sur l’individu, qu’il incite à la sympathie, et sur la collectivité de ses fidèles entre qui il établit un lien étroit. Il peut être social enfin par les sentiments associés, et cela est si vrai que lorsque ces sentiments sont antisociaux, il en résulte pour l’œuvre d’art un amoindrissement de beauté (p. 171-220).

De là résulte enfin la condamnation de la critique d’art qui juge conformément à des causes absolues et de celle de Taine et de Tolstoï, qui prend son point d’appui hors de la valeur d’art ; mais la possibilité d’une critique qui séparerait les œuvres d’art des autres en vertu des caractères extérieurs dont s’accompagne l’émotion esthétique, harmonie, sérénité, unité, vraisemblances émotives, et qui établirait entre les œuvres d’art elles-mêmes une hiérarchie selon la profondeur de l’émotion esthétique qu’elles provoquent, de la connaissance des êtres et des choses qu’elles procurent, des senti-