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en face de la totalité des motifs appelés à la clarté de la conscience que ses choix révèlent sa nature : « elle marque que toutes les raisons sont réunies et qu’on s’élève plus haut encore ». À ceux qui soutiennent que l’intellectualité et la spiritualité sont en raison inverse l’une de l’autre, l’œuvre d’Hamelin inflige le plus décisif démenti. De quelle façon eût-il continué cette œuvre, s’il avait vécu ? Il n’était pas un homme du passé, mais un moderne par excellence. Toutes les questions que notre temps se pose le passionnaient, et ses amis savent avec quelle sympathie ardente il suivait tous les mouvements capables de hâter parmi nous l’avènement d’une République sociale. Qui sait à quelles études nouvelles ses préoccupations démocratiques l’auraient conduit un jour ? Ce qui est sûr pour tous ceux qui l’ont connu, c’est que sa puissance d’esprit pouvait se produire sous des formes nouvelles et que sa mort est un malheur national.

Sully-Prudhomme.

Au moment même où, par la publication d’un ouvrage considérable, l’attention du public était attirée sur l’ensemble de la pensée de Sully-Prudhomme, le poète disparaissait après avoir donné la mesure de sa sérénité intérieure, de sa « sagesse », dans une maladie longue et cruelle. Nous n’avons pas seulement à rappeler avec quelle simplicité, quelle timidité presque, il a offert à cette Revue, dès l’annonce de sa publication, l’appui d’un nom illustre. À travers les formes diverses des écrits, l’œuvre de Sully-Prudhomme apparaît d’une remarquable unité : elle est la manifestation d’un état d’âme, analysé sous tous ses aspects et, pour ainsi dire, dans tous ses domaines : le scrupule. Autant était vif chez lui le souci de ne rien perdre des sentiments qui ont enrichi et affiné la vie intérieure de l’âme, autant était profond, le souci de n’y laisser pénétrer aucun principe qui offrit quelque difficulté à la critique moderne, de ne pas mettre sa conscience en paix avec la science par un biais détourné, par un compromis déloyal. De là, après de minutieuses enquêtes, après de lentes et délicates précautions, ce besoin d’impitoyable précision qui fait l’originalité de sa poésie, qui fait l’intérêt de son œuvre philosophique, depuis les remarquables analyses de l’Expression dans les Beaux-Arts jusqu’à la discussion très pénétrante et très ferme du finalisme biologique dans ses lettres à M. Richet, qui lui a permis enfin d’ajouter à ses études sur la Vraie Religion selon Pascal cet Appendice qui est peut-être son chef-d’œuvre : Critique des formules dogmatiques par les règles de Pascal pour les définitions. L’auteur de cet Appendice, le poète de la Justice, n’a-t-il pas été détourné de l’action par le scrupule de choisir entre différents devoirs, alors même que la pression des circonstances et l’appel de la conscience commune semblaient le plus impérieux ? En tout cas, dans l’hommage unanime rendu à l’œuvre et l’homme, souligné par l’attribution d’un prix international, il y a une leçon qui devrait ne pas être perdue pour notre pays : rien ne vaut, à une heure où nous voyons ériger le cynisme en philosophie d’état, l’exemple donné par celui qui s’est constamment montré, suivant le mot d’Épictète, le citoyen plein de pudeur.

J. Freudenthal.

J. Freudenthal, professeur à l’Université de Breslau, qui est mort au mois de juin dernier, âgé de soixante-huit ans, avait consacré à l’étude de Spinoza le meilleur de son activité philosophique. Parmi les nombreux articles et comptes rendus critiques qu’il a eu l’occasion de publier, le plus célèbre est le mémoire : Spinoza und die Scholastik, qui fut inséré dans le recueil dédié à Zeller, il y a vingt ans. Par de multiples rapprochements de textes, il était arrivé à établir comme la généalogie des termes employés par Spinoza, et il faisait entrevoir à quel courant de spéculation et d’enseignement étaient liés les Cogitata metaphysica. Freudenthal se proposait de couronner sa carrière par un ouvrage d’ensemble sur la vie et sur l’œuvre de Spinoza. Il y préludait, en 1898, par la publication d’un recueil qui est un modèle du genre : Die Lebensgeschichte Spinozas in Quellenschriften, Urkunden und nichtamtlichen Nachnchten. En 1904 paraissait le premier volume de Spinoza, sein Leben und seine Lehre, où la vie de Spinoza était racontée avec autant de précision et de solidité que de simplicité et de « liberté » : le livre était devenu classique dès cette apparition. Le meilleur hommage que nous puissions rendre à la mémoire de cet excellent travailleur est d’exprimer le vif espoir que les manuscrits laissés par Freudenthal soient suffisamment complets pour permettre la publication posthume de la dernière partie de l’ouvrage.


LIVRES NOUVEAUX

La Théorie de la Physique chez les physiciens contemporains, par A. Rey, docteur ès lettres, professeur au lycée de