Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 5, 1910.djvu/9

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’obtenir de lui, sans qu’il s’en doute parfois, une humilité réelle, contre laquelle tout son être se révoltait jusqu’alors. Parallèlement, il faut relever la tension du vouloir, en apprenant au malade à se ménager, à ne point gaspiller ses forces, à « augmenter son capital ». Ces principes thérapeutiques nous paraissent fort justes. En dehors du traitement physiologique, qui n’est point négligeable, mais dont l’auteur ne parle pas parce qu’il n’a point voulu empiéter sur le terrain proprement médical, il ne semble pas en effet qu’il y ait d’autre traitement moral à appliquer aux obsédés, aux psychasthéniques intelligents, dont l’affinement même est une cause de faiblesse. Mais faut-il le suivre jusqu’au bout lorsqu’il réclame du patient l’obéissance absolue, l’entier abandon à son directeur ? Ces conditions ne se trouvent réalisées que chez ceux qui sont restés fidèles aux habitudes d’une certaine tradition religieuse. Il paraît impossible de les obtenir ailleurs ; et serait-ce une raison de désespérer ? Nous ne le pensons pas. On peut apprendre la philosophie, l’art de vivre, à tout âge. Il importe que le médecin qui entreprend la guérison de ces malades réapprenne, pour lui-même et pour eux, la vieille philosophie. Les préceptes de la sagesse antique sont admirablement appropriés au but qu’il poursuit ; qu’il s’en pénètre, et les judicieuses pratiques qu’il enseignera à ses patients y puiseront une force incomparable, en dehors même de tout acquiescement, implicite ou explicite, au dogme catholique.

Les mensonges de la vie intérieure, par Gabriel Dromard, 1 vol. in-16, de ii-181 p., Paris, Alcan, 1910. — Le titre de cet ouvrage, et des chapitres dont il est fait (Le Moi fantôme. Les croyances fossiles. Le dilettantisme sentimental. Les jugements de tendance. Les raisonnements de justification. L’esprit d’entêtement. Connais-toi. Ignore-toi) pourraient servir de cadre à quelque austère essai de critique ou à quelque satire vengeresse, ou à quelque sermon tonique. Mais l’exécution laisse trop à désirer. Ce ne sont que des vues, sans le plus petit commencement de preuve, sans le trait pénétrant qui touche plus que la preuve. À moins que l’on ne reçoive pour des preuves des citations prises du Canard Sauvage, ou du Disciple, ou des Liaisons dangereuses, (p. 98). Or il est bien permis de penser que Bourget manque de profondeur, et surtout que l’œuvre assez connue de Laclos n’est qu’une mystification sans portée. Cette psychologie n’est que de la critique littéraire à l’ancienne mode. Voilà pour les preuves.

Les traits sont faibles. Une citation suffira pour le montrer. « Quand on parle de décorations, quelques-uns en rient, d’autres s’en indignent, et peut-être les uns et les autres n’ont-ils pas tort. Les premiers pourtant sont sans doute en meilleure posture, d’abord parce que la gaîté a toujours raison, et ensuite parce que le cas ne vaut certainement pas qu’on se trouble l’humeur. Il est aussi anodin de distraire un adulte avec des rubans que d’amuser un enfant avec son hochet. Or personne ne songerait à devenir furieux à la vue d’un spectacle si ordinaire. Mais le comique est que parmi les rieurs, beaucoup suspendront leur rire et ne parleront plus bientôt de la décoration qu’avec une paupière onctueuse et une bouche constipée. Qu’attendent-ils pour cela ? Ils attendent d’être décorés » (p. 33). On avouera qu’il est difficile d’écrire plus platement ; et la pensée, comme on peut voir, est au niveau du style. Voilà pourtant ce que l’on imprime dans une « bibliothèque de philosophie contemporaine ».

L’évolution de la mémoire, par Henri Piéron ; 1 vol. in-16 de 355 p., Paris, Flammarion. — « La profonde identité des mécanismes mentaux du haut en bas de l’échelle des organismes est bien faite pour rappeler que, malgré les nécessités de la spécialisation, les études d’une portée un peu générale ne doivent pas se limiter à quelques êtres avec méconnaissance des autres, et que la psychologie humaine doit bénéficier des recherches sur les animaux, comme la psychologie animale des études effectuées sur l’homme » (p. 5). Vieille idée, mais renouvelée par notre auteur, de deux manières. D’abord il faut remarquer que le mécanisme de la mémoire n’est plus présenté par lui comme spécifiquement inhérent aux phénomènes vitaux. L’hystérésis dans l’aimantation (p. 15), l’inertie d’une roue qui tourne longtemps après que l’impulsion a cessé (p. 16), tels sont les faits élémentaires sur le modèle desquels il faudrait construire tout le mécanisme de la mémoire. On voit ici rentrer en scène l’animal-machine de Descartes ; l’idée est simple et bien connue ; dans le fait, il est rare que l’on s’y tienne, et il se trouve que le matérialisme, comme règle de pensée, est plus difficile à suivre qu’on ne croirait. Du moins notre auteur s’y tient, et écarte par là cette notion trompeuse de mécanisme mental, qui a égaré tant de psycholoques.

Il faut noter, en second lieu, que cette