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logiques. Les sociétés tendent vers des fins, les font connaître, les imposent, les réalisent. À ces quatre moments de l’activité sociale correspondent quatre groupes d’institutions : les sciences et les religions assignent des fins aux consciences sociales ; les littératures et les arts propagent la connaissance de ces fins ; le droit oblige les volontés récalcitrantes à les accepter ; les techniques fournissent les moyens de les réaliser. On voit par là même quelle est la place du droit dans la sociologie. « Il exprime les conditions que la société juge nécessaires à un moment donné pour son maintien et son progrès. Il coordonne entre eux les buts individuels, en tant qu’ils ne sont pas contraires au but social, et il les subordonne à ce dernier » (p. 146). L’idée de sanction n’est pas essentielle au droit, et l’on conçoit dans l’avenir des codes qui n’édicteront que des peines « psychothérapiques » (p. 162). La fonction du droit n’est pas de punir, mais de prescrire. — Il faut prendre ce livre, comme l’auteur nous le donne, pour un programme d’études, l’ensemble des hypothèses qu’un jeune homme inscrit en tête de ses recherches, « avant d’en avoir éprouvé la solidité » (p. 7).

La lutte contre le crime, par J.-L. de Lanessan, 1 vol. in-8o de xx-304 p., Paris, Alcan, 1910. — Ce livre est d’abord une protestation contre la théorie italienne qui fait de la criminalité une anomalie et un retour ancestral. L’auteur emprunte à des souvenirs personnels et au livre de Letourneau des exemples tendant à prouver le grand développement des sentiments de famille et d’un certain altruisme social chez des populations très primitives, de telle sorte que, si on compare ces populations aux peuples modernes, « il est facile de s’assurer que le maximum de développement (des sentiments moraux) ne se trouve pas toujours chez ces derniers » (p. 25). « La seule différence indiscutable, par laquelle (ces peuples) se distinguent, consiste en ce que le nombre des individus moraux est plus grand chez les seconds que chez les premiers » (p. 37). Cette dernière assertion nous parait assez mal s’accorder avec cette « conclusion » que « la morale est chose purement individuelle, et variable d’un homme à l’autre, dans chaque groupe social, dans chaque famille même ». — Plus heureusement, l’auteur critique les faits sur lesquels prétend s’appuyer l’idée de l’hérédité criminelle et de son lien avec certaines névroses. La source de la criminalité est pour lui dans des besoins naturels, des sentiments et des passions que l’éducation n’a pas su dominer, ou même, par ses fautes ou ses maladresses, n’a pu que favoriser. On peut citer (p. 73-91) quelques pages intéressantes sur les vices ou les erreurs caractéristiques de l’éducation ouvrière, paysanne ou bourgeoisie, et sur le genre de délinquance qui en résulte. Enfin l’auteur étudie l’influence de l’anormalité organique et des maladies, celle de l’âge, du sexe, des professions, des habitudes passionnelles, des conditions sociales, économiques, cosmiques (sous cette dernière rubrique l’auteur range assez arbitrairement des influences aussi disparates que celles des saisons, du climat, de la cherté des vivres, et de la publicité donnée aux crimes). — Quant à la lutte contre le crime, l’auteur croit nécessaire de conclure de la négation du libre arbitre la négation de toute idée de responsabilité, même sociale. Le but de la législation pénale ne peut être alors que « de prévenir la criminalité ou de mettre le corps social à l’abri du crime ». La lutte contre la criminalité infantile et juvénile est d’abord une question d’éducation. La société devrait prendre à sa charge tous les enfants dont les parents se conduisent de telle sorte qu’ils ne peuvent donner à leur descendance que des leçons et des exemples mauvais ; mais le renvoi à l’Assistance publique que M. de Lanessan préconise (outre les garderies et patronages) paraît un singulier moyen. Pour les adolescents de treize à dix-huit ans, il faut leur inspirer le goût du travail. Relèvement de l’apprentissage en encourageant les industriels à s’en charger, enseignement professionnel plus pratique et plus simple, les travaux manuels à l’école primaire, encouragement aux sociétés d’éducation physique et aux mariages précoces : voilà pour la préservation. Quant à la répression, actuellement viciée par la double hantise des droits du père de famille et du libre arbitre (discernement), l’auteur propose les tribunaux de mineurs (projet d’Haussonville), la mise à la disposition du gouvernement, jouant le rôle de tuteur de l’adolescent, à l’aide de commissions d’arrondissement spéciales (proposition Albanel), la réorganisation des colonies pénitentiaires. Contre les adultes, M. de Lanessan condamne la prison comme inutile et corruptrice, la transportation et la relégation comme radicalement inefficaces et stériles dans leur organisation actuelle, vrai gâchage d’hommes et d’argent (cette partie est, certainement, de tout l’ouvrage, la plus nourrie de faits significatifs) ; la peine de mort, inopérante