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l’individualisation de l’éducation, c’est-à-dire de son adaptation aux différents cas. En effet, l’anormal est, par définition, celui qui ne sait, ni ne peut s’adapter : « il tend naturellement à perdre l’équilibre et l’éducateur doit le remettre d’aplomb ».

Une erreur commise dans l’éducation d’un enfant normal n’a qu’une importance secondaire, car ce dernier saura tirer parti des plus mauvaises méthodes pédagogiques : au contraire, toute erreur est capitale et irrémédiable dans l’éducation des anormaux. D’où la nécessité pour le professeur d’être parfaitement au courant de la psychologie des malades, et de l’évolution particulière des différentes facultés chez eux. C’est pour la même raison que les auteurs sont partisans de la réunion des anormaux dans des établissements assez vastes pour qu’on puisse créer des classes homogènes, composées d’élèves à peu près semblables, à qui on pourrait appliquer une méthode opposée. Quelle sera cette méthode ? C’est-ce que MM. Philippe et Paul Boncour étudient dans une série de chapitres consacrés à l’éducation physique, à l’éducation de l’imagination, de la mémoire, de l’attention, de la volonté. Le livre, qui est dédié à M. Ribot, s’inspire en effet de la méthode du célèbre philosophe. Il faut louer ce petit manuel à l’usage des instituteurs spéciaux d’être clair, précis, et pratique. C’est évidemment l’œuvre de deux hommes d’expérience, et il rendra comme tel de grands services.

La psychologie politique et la défense sociale, par le Dr  Gustave Le Bon, 1 vol. in-12 de 379 p. Paris, Flammarion, 1910. — Plus que tous les autres livres du Dr  Le Bon, celui-ci, sous toutes les prétentions à la science, a toutes les qualités et tous les défauts d’un livre de polémique. On y chercherait en vain la rigueur de la méthode, le souci de la preuve ; du moins un exposé vigoureux de critiques et d’idées personnelles, une assez grande richesse de faits, étudiés sans la nécessaire impartialité de l’historien, mais illustrant la thèse passionnée du moraliste et du politique, en font-ils un bon livre de publiciste. — L’auteur s’y répète beaucoup et répète beaucoup ses ouvrages précédents ; mais la répétition est pour lui un système d’action, le facteur essentiel de la persuasion (p. 11). Nous y retrouvons donc les idées connues de G. Le Bon sur le rationalisme, l’étatisme, le collectivisme, la colonisation, et l’enseignement. Plusieurs de ces idées sont beaucoup mieux développées dans des ouvrages antérieurs (Psychologie de l’Éducation, Psychologie du socialisme, et Psychologie des foules). L’auteur en fait ici, une application particulière aux illusions des politiciens (illusion du pouvoir de la loi, de l’étatisme : sur ce point, un rappel fréquent des idées de J. Cruet et M. Leroy ; illusion des pacifistes, illusions des syndicalistes).

L’auteur nous montre l’anarchie et la désorganisation croissantes, mais croit que le psychologue peut « dissocier » les fatalités en en connaissant les facteurs et que le facteur primordial de l’évolution des peuples est la volonté. C’est à une doctrine de l’énergie, somme toute, qu’il fait appel, et, en dépit des outrances et des injustices, et bien que : sa méthode de solution des problèmes sociaux consistant trop souvent à nier les besoins de justice qui les créent, il ne puisse vraiment nous servir de guide, n’ayant pas notre idéal, — il faut reconnaître la vigueur de son pessimisme et que ceux qu’il attaque ont beaucoup à apprendre de lui.

La crise sociale, par Georges Deherme, 1 vol. in-12 de 373 p., Paris, Bloud, 1910. — On trouve dans ce livre l’énergique pessimisme et la haute conscience que l’on connaît. L’auteur étudie successivement la crise économique, la crise politique et la crise morale. La critique, vigoureuse, et pour certains sans doute excessive, suscite toujours la réflexion, d’autant plus qu’elle sort des cadres et classifications ordinaires des partis. L’insécurité prolétarienne et le travail « sans fierté », un socialisme qui « n’est plus qu’une chose vague, équivoque, confuse et incohérente », et rongé par la politique : un syndicalisme généreux et éducateur, mais qui ne sait ni ne veut éliminer l’antimilitarisme, le sabotage et la lutte des classes, et qui d’ailleurs envisage trop exclusivement le producteur dans l’homme ; un réformisme qui n’est trop souvent qu’expédients ou trucs électoraux, ou qui, lorsqu’il est bien intentionné (voir, i, ch. iii, l’étude détaillée du système de partage des bénéfices de M. Ch. Mildé) n’aboutit qu’à faire des ouvriers des bourgeois ; le déclin de l’apprentissage ; l’abus de la grève, sont les principaux éléments ou les signes les plus nets de la crise économique. Le pillage du budget, le gaspillage des forces, la clientèle électorale, le parasitisme, le favoritisme, la révolte des fonctionnaires, l’enseignement par l’Etat, l’anarchie dissolvante que manifestent la baisse du sentiment du devoir militaire et les scandales judiciaires, politiques et financiers ; par-dessus tout la corruption parlementaire, qui