Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 5, 1908.djvu/15

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
15

par accident. Le droit est indépendant de son application historique. — Il ne faut pourtant pas en conclure que le sentiment juridique suffise à lui seul pour nous donner « l’expression parfaite, la vérité logique et articulée » du droit. Il n’en est que la raison subjective, la condition, le principe « que nous sentons en nous comme une puissance embryonnaire, qui fait du droit un objet adéquat à notre être », et détermine notre attitude affective. — Si vivement que l’on désire réagir contre un positivisme étroit qui identifie trop complètement le droit avec le droit positif, ne peut-on croire qu’ici la mesure est parfois dépassée, lorsque le sentiment juridique nous est présenté comme un sentiment de nature essentiellement individuelle et que la justice est considérée connue liée aux institutions juridiques par un pur accident ?

Nuova classificazione dei delinquenti, par le professeur José Ingegnieros, 1 vol. in-12 de 80 p., Sandron, Milan, 1908. — Rappelant le triomphe, définitif à ses yeux, des thèses principales de l’école italienne, l’auteur s’attache à montrer qu’on juge encore trop souvent cette école à l’étranger sur son attitude primitive, où une importance exagérée était attachée à la morphologie criminelle. Mais l’école a reconnu elle-même que le type soi-disant physiologique du délinquant était au fond un type commun à tous les dégénérés, et l’étude psychopathologique du criminel est passée, fort légitimement, au premier plan. Pourtant la classification de Ferri parait encore à J. Ingegnieros trop empirique. Voici celle qu’il propose : anomalies morales (congénitales : délinquants nés ou fous moraux ; — acquises : délinquants d’habitude ou pervertis moraux ; — passagères : délinquants d’occasion ou criminaloïdes) ; anomalies intellectuelles (congénitales) : fous constitutionnels ; acquises : folie acquise, obsédés, homicides, etc. : — passagères : ivresse, délires toxiques, etc.) : anomalies volitives (congénitales) : impulsifs épileptiques ; — acquises : alcooliques chroniques impulsifs ; — passagères : impulsifs passionnels, délinquants émotifs, etc.). — Contrairement aux partisans de la responsabilité atténuée, on est étonné de voir J. Ingegnieros passer sous silence le traitement médical des délinquants, ce qui ne laisse pas d’être décevant après une classification toute pathologique. Mais sans doute est-ce sous-entendu par lui sous le nom de moyens préventifs et de prophylaxie, qu’il n’étudie pas dans ce livre. Un rappel pourtant eût été utile. En effet, J. Ingegnieros, à l’inverse de M. Grasset, conçoit que la répression pénale doit être la plus forte pour les délinquants incorrigibles, congénitaux ; moyenne, pour les délinquants d’habitude, les impulsifs éducables ; très faible pour les criminels d’occasion et les anormaux passagers. Cette idée, diamétralement opposée, on le voit, à celle de la responsabilité atténuée, est parfaitement logique, si l’on n’envisage, comme le fait l’auteur, que les degrés décroissants de la témibilité. Mais l’insuffisance d’une conception n’en éclate-t-elle pas d’autant mieux ? Une répression pénale violente parait aussi inutile contre les criminels nés qu’indispensable, nécessaire même à renforcer contre les délinquants d’habitude ou des anormaux légers que de fortes craintes, substitut d’une volonté faible, ont besoin de retenir. La notion de témibilité a donc évidemment à être corrigée au moins par la prise en considération du degré auquel le criminel est accessible aux effets de la peine et du traitement qui sera pour lui le plus efficace. On voit alors combien il faut regretter que l’auteur ait cru devoir se taire sur la question de la psychothérapie et de la mesure dans laquelle elle peut et doit se mêler à la répression.

Il Cattolicismo rosso, par G. Prezzolini, 1 vol. in-8 de iv-348 p., Naples 1908. — On reconnaîtrait difficilement le paradoxal auteur de l’Art de persuader dans ce livre sérieux, pondéré, d’une documentation étendue et sûre, et qui nous fournit du mouvement moderniste un tableau à la fois exact et très analysé. — Après avoir montré l’état du catholicisme contemporain et pourquoi on y éprouve le besoin urgent d’une réforme, il étudie les trois aspects du modernisme : 1o l’aspect doctrinal (philosophie de l’immanence et de l’action, pragmatisme : doctrines de Newman, Tyrrel, Blondel, Le Roy, Laberthonnière) ; 2o l’aspect critique, et la réforme de l’histoire (Loisy) ; 3o enfin l’aspect libéral et la réforme de l’autorité. — Ses conclusions les plus intéressantes nous paraissent être : 1o Que ces diverses tendances ne se trouvent associées qu’accidentellement en quelque sorte, par les nécessités d’une résistance commune à l’orthodoxie tyrannique : car la philosophie de l’immanence tend, à la limite, à une conception individualiste et intuitive de la religion, hostile à toute interprétation littérale du dogme et étrangère en elle-même à toute considération historique ; tandis que le développement de la critique biblique aboutirait à un respect renouvelé de la lettre et du fait historique en tant que