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ment de l’individu, contre le socialisme d’État d’une part, et contre l’anarchisme de l’autre. Cette attitude est à peu près celle de M. Faguet dans son livre sur le Libéralisme. « L’État n’a pas pour mission de se substituer à la volonté libre, mais seulement de lever les obstacles qui entravent le jeu de nos facultés et retardent la marche de l’humanité vers l’idéal auquel aspirent toutes les puissances de notre être et dont nous nous approchons indéfiniment sans jamais l’atteindre » (p. 114-115).

Dans ces trois discours, la pensée de M. Merten n’apparaîtra pas exempte d’un certain vague et d’un certain simplisme. De fait, il y a bien des intermédiaires entre le positivisme et le panthéisme, le spiritualisme et le matérialisme, le socialisme et l’anarchisme, entendus comme M. Merten les entend. C’est un procédé bien artificiel et bien arbitraire que celui qui consiste à réduire à leurs formules les plus radicales deux tendances antagonistes que l’histoire nous montre souvent rapprochées ou même confondues, et à fonder sur la critique qu’on en fait une sorte de philosophie du juste milieu. Cette philosophie ne saurait se situer bien exactement vis-à-vis des doctrines antérieures. Pour avoir méconnu dans la partie critique de son livre la complexité de l’histoire, M. Merten est conduit, dans la partie positive, à rester dans des généralités auxquelles tout le monde à peu près peut donner son adhésion sans compromettre sa foi philosophique.

Mais il ne faut pas trop demander à des discours d’ouverture.

Les bases de la philosophie naturaliste, par A. Cresson, 1 vol. in-8 de 178 p., Paris, Alcan, 1907. — M. Cresson s’est volontairement astreint cette fois à une œuvre de simple exposition impersonnelle ; il proteste qu’il ne prétend pas démontrer la philosophie qu’il analyse, et qu’aussi bien on ne saurait le faire, pas plus que la réfuter valablement, toute doctrine, selon lui, supposant l’acceptation préalable de certains postulats, qui sont toujours affaire de croyance ; mais le « naturalisme » lui paraît au moins un système très cohérent et vraisemblable ; on sent qu’il a tendresse de cœur pour lui, et qu’il met volontiers à son service les qualités qui toujours distinguent ses ouvrages : la vie, l’entrain et la parfaite clarté. — On peut se demander seulement ce que la doctrine, ainsi comprise, offre de philosophique, puisqu’elle n’est rien de plus, qu’il s’agisse du monde inorganique, de la vie, de la pensée ou de la société, que la série des hypothèses scientifiques les plus rigoureusement mécanistes, où le prudent « peut-être » du savant est seulement transformé en affirmation prématurée et aventureuse : l’œuvre du philosophe ne commence-t-elle pas, à propos de chacune de ces hypothèses, avec l’analyse des postulats qu’elle enveloppe, et la discussion de leur cohérence soit mutuelle, soit interne ? Aussi bien, donne-t-on une idée bien exacte du naturalisme si l’on néglige toutes les difficultés qu’il soulève, et dont les savants contemporains ont pris une conscience si aiguë, et parfois si découragée ? Est-il légitime de ne rien dire du problème de la connaissance, et du cercle vicieux initial que semble envelopper l’affirmation par l’esprit d’un univers réellement indépendant de l’esprit ? Est-il possible encore de considérer la substitution de l’énergétique contemporaine à l’atomisme ou au mécanisme d’hier comme ne changeant en rien le sens de la doctrine ? La notion de force a-t-elle même l’apparente clarté de la notion d’atome, et n’exige-t-elle pas impérieusement une interprétation ? — Toutes ces obscurités sont en quelque sorte résumées dans le titre même du livre de M. Cresson. Il appelle la doctrine qu’il expose le « naturalisme » : à moins de prendre parti dans des débats scientifiques si ardents aujourd’hui, et que son livre laisse un peu trop ignorer, il ne pouvait pas l’appeler le « mécanisme », comme il eût convenu, et comme il en était sans doute tenté lui-même. Or, quel terme plus incertain que celui de naturalisme, s’il convient au vieil hylozoïsme grec, au vitalisme fumeux des philosophes de la Renaissance ou d’un Diderot, au dynamisme classique, aussi bien et même beaucoup mieux qu’au mécanisme cartésien ?

Éléments de philosophie biologique, par Félix Le Dantec. 1 vol. in-12 de iv-297 p., Paris, Alcan, 1907 — Sous une forme très ramassée, M. Le Dantec a condensé les conclusions d’une quinzaine de volumes qu’il a écrits en dix ans. Cette exposition synthétique d’une doctrine biologique très personnelle, hardie jusqu’au paradoxe, d’ailleurs très cohérente et systématique, intéressera les lecteurs habituels de M. Le Dantec en leur rappelant les principales thèses de l’Unité dans l’être vivant, du Traité de Biologie, de l’Introduction à l’étude de la Pathologie générale. Elle déconcertera tous ceux qui commenceront par cet ouvrage l’étude du système : l’exposition est trop rapide, les affirmations se succèdent avant que l’esprit du lecteur y soit préparé.

L’ouvrage ne mérite guère son titre. Détacher une théorie-scientifique para-