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tisme (p. 297 sq. et 427 sq.) : l’utilité pratique et la nécessite humaine du sentiment patriotique ont été rarement mis en lumière avec plus de justesse et de force.

Malgré les défauts de son livre, il faut savoir gré à M. Hémon de nous avoir fait sentir que, dans un siècle où la science et les arts se sont si extraordinairement développés, mais qui a perdu la foi aux anciens Dieux, qui continue à aspirer et à créer alors même qu’il ne peut plus prouver, qui cherche l’équilibre de l’intelligence et oscille sans le trouver de Darwin et de Comte à Pascal en passant par Kant, — et dans une société fondée sur le patriotisme, la justice et le travail, — M. Sully Prudhomme, qui a subi toutes ces influences, ressenti tous ces besoins, éprouvé toute la fierté de ces conquêtes et toute l’inquiétude de cette impuissance, et qui les a chantées dans des vers inoubliables, est un de nos grands bienfaiteurs, parce qu’en éclairant notre conscience, sa vaste sincérité a essayé d’ouvrir la voie à une ère de développement normal et de travail paisible.

Philosophie et philosophes, par A. Schopenhauer, première traduction française, avec préface et notes par A. Diétrich. 1 vol. in-12 de 207 p., Paris, Alcan, 1907. — M. Diétrich poursuit le dessein qu’il a entrepris de présenter au grand public français l’essentiel des parties non encore traduites de l’œuvre de Schopenhauer. Nous avons déjà, à l’occasion du volume Écrivains et style, exprimé notre opinion sur cette entreprise. Sans doute on ne peut que s’estimer heureux de voir mettre à la disposition des lecteurs français, en volumes de prix modique, une version généralement très exacte des fragments les plus saillants de l’œuvre non traduite du célèbre pessimiste ; mais, puisque le cadre de cette traduction dépasse de beaucoup le petit volume de Pensées et fragments, traduit par J. Bourdeau, et qui n’a pas eu moins de 21 éditions, il nous semble très regrettable que le traducteur et l’éditeur n’aient pas délibérément entrepris une traduction intégrale des Parerga et Paralipomena. L’effort ni la dépense n’eussent pas été bien considérables puisque les trois volumes déjà publiés par M. Diétrich, joints au quatrième qu’il annonce et aux Aphorismes sur la sagesse dans la vie déjà traduits par M. Cantacuzène, comprendrait la majeure partie des Parerga et Paralipomena. M. Diétrich a préféré réunir les pensées relatives aux écrivains et au style, à la religion, à la philosophie universitaire, etc. Il nous donne ainsi des volumes agréables à lire, d’une unité assez satisfaisante et qui pourront plaire à ceux des lecteurs qui ne veulent rien plus que passer agréablement une heure ou deux en compagnie du plus humoriste des philosophes. Commercialement, c’est peut-être une bonne affaire ; philosophiquement, le bénéfice est moindre, et de tels livres ne constituent que des instruments de travail fort imparfaits. C’est ainsi que le volume que nous avons sous les yeux. Philosophie et Philosophes, ne nous donne pas une idée complète des diatribes de Schopenhauer sur la philosophie universitaire, puisqu’il y faudrait joindre la préface et maint passage de la troisième édition du Monde, quantité de Lettres et de fragments posthumes édités par Grisebach. Il en va de même des pages relatives à l’histoire de la philosophie, auxquelles on aurait pu ajouter les fragments si importants du Nachlass. En outre, aucune indication de page ni de chapitre ne permet de se reporter de la traduction à l’original.

Ces réserves faites, le volume intitulé Philosophie et Philosophes contient des pages intéressantes, nerveuses et spirituelles. Voici les titres des fragments traduits : La philosophie universitaire. — Sur l’histoire de la philosophie. — Rapports de la philosophie avec la vie, l’art et la science. — Quelques considérations sur l’opposition de la chose en soi et du phénomène, — enfin quelques aphorismes psychologiques. Le premier, le plus étendu, n’est pas le plus intéressant. Décidément, la haine de Schopenhauer contre ses anciens collègues est plus tenace qu’inventive et l’accusation de mercantilisme qui, à tout instant, rabaisse ce débat, n’est pas rachetée par une intelligence vraiment pénétrante des systèmes critiqués. Entre les grands idéalistes de l’école romantique et Schopenhauer, il existe une telle différence de tempérament intellectuel que la discussion ne tarde pas à se réduire à de stériles invectives. Aussi bien a-t-il manqué à Schopenhauer le sens de l’histoire, dont Hegel a été doué à un degré éminent. On sait quelle mince estime il professait pour cette science, moins instructive, à ses yeux, que le roman. Des fragments sur l’histoire de la philosophie confirment curieusement cette inaptitude à pénétrer le passé et la pensée d’autrui quand celle-ci ne se trouve pas en affinité avec la sienne, Un exemple entre cent, d’autant plus caractéristique que Schopenhauer s’applique à interpréter Spinoza « de la