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ception juridique de M. Duguit et le livre du P. Laberthonnière, « Positivisme et catholicisme ». À l’individualisme étriqué du néo-criticisme et au solidarisme naturaliste, l’auteur oppose avec enthousiasme le spiritualisme généreux des catholiques démocrates. Le danger actuel le plus pressant est le manque d’idéalisme. Sans chercher si l’on y pare suffisamment par un retour, si enflammé soit-il, aux vieilles idéologies, que nos habitudes positives aimeraient à voir doublées d’un programme concret, louons sans réserves M. P. Archambault d’avoir avec une grande netteté et une grande force dégagé et maintenu, en face d’une mode hostile, les raisons d’être permanentes de l’individualisme véritable, de celui qui, en désaccord peut-être avec le mot dont on veut le stigmatiser, mais en parfaite conformité avec la meilleure tradition philosophique, ne place si haut la personne humaine que parce qu’il voit en elle, l’âme, la raison, la puissance infinie de progrès et de renouvellement. Un tel individualisme n’est pas embarrassé pour soutenir les fonctions de « culture » de l’État. Bien au contraire, tout en saluant l’avenir qu’apporte le syndicalisme, ce que M. P. Archambault loue en M. Duguit, c’est d’avoir compris que les fonctions de l’État ne sauraient jamais être entièrement absorbées par lui. Ce qu’il reproche, en revanche, à ce juriste, c’est, dans sa critique si forte et si décisive de la souveraineté, d’avoir dépassé la mesure, de n’avoir pas vu que, par elle précisément, et par le pis aller du droit des majorités, l’État reste, « contre les excès possibles des tyrannies particulières », le défenseur des droits individuels en même temps que des grands intérêts collectifs. La solidarité, au contraire, outre qu’elle est un pur fait, à développer dans le sens le meilleur, ce qui suppose l’apport d’un idéal, d’une fin morale, est, suivant qu’on s’attache de préférence à la solidarité par similitude ou à la solidarité par division du travail, « une arme à deux tranchants qui risque d’être employée, tantôt au nom de la liberté, contre toute tentative collective pour égaliser les chances de développement des vies humaines, tantôt au nom de l’égalité, contre tout effort individuel pour poursuivre ce développement suivant une loi autonome ou une formule inédite ». Et ainsi l’idole de la société, « pour s’appeler la solidarité au lieu de s’appeler la souveraine ou l’État, n’en serait ni plus aimable ni moins malfaisante ». L’option nécessaire reste toujours : « se servir des âmes ou les servir », et les affirmations qui manquent à la synthèse de M. Duguit sont précisément celles que notre vieille philosophie française du droit avait su mettre en valeur : celle d’un idéal supérieur aux faits et capable d’y orienter notre liberté ; celle d’une œuvre de justice imposée avant toute autre à l’État, véritable « association pour la justice » (mais nous verrons tout à l’heure quel sens M. P. Archambault donne à ce mot) ; celle d’un souverain respect dû à la personne humaine et, par elle et pour elle, à tout ce qui est instrument de son ascension. Signalons enfin, aux pp. 164 à 166, d’abord une intéressante distinction, relative à la théorie positiviste de la propriété-fonction ( « en tant qu’elle s’applique, non plus aux « instruments de production », mais aux « objets de consommation », la propriété est un droit avant d’être une fonction » ) ; ensuite l’indication plus générale que l’étude de la législation et de la jurisprudence la plus récente ne nous montre, dans l’effort pour sauvegarder les droits subjectifs de l’individu, nullement une fiction idéologique, mais bien un effort réel et efficace, une préoccupation constante du droit vivant. Pourtant l’étude la plus complète et la plus pénétrante nous semble celle qui est consacrée à Renouvier. Elle tient d’ailleurs plus de la moitié de l’ouvrage, et ne se laisse pas si brièvement résumer.

Après avoir très justement défendu Renouvier contre les critiques de Fouillée qui ne voyait dans la partie théorique de la Science de la Morale qu’un assemblage hétérogène de principes juxtaposés, et montré que même l’opposition, qui paraît demeurer, du devoir et du bonheur, se résoud au fond, comme chez Kant, par un primat incontestable de la raison. M. P. Archambault part de cette vue que la morale néo-criticiste, plus encore que la morale kantienne, est essentiellement la morale de la personne humaine. Tandis que chez Kant on n’arrive à la personne que par l’universalité de la loi, chez Renouvier au contraire, « la généralisation de l’obligation n’est qu’un corollaire du principe pratique suprême de l’humanité fin en soi ». Le « primat de la personne humaine », voilà bien selon M. P. Archambault, le postulat fondamental de toute morale spiritualiste et la tendance la plus profonde et la plus constante de la civilisation moderne. Ainsi ce catholique rejette « ce lieu commun de philosophie réactionnaire » selon lequel la morale de l’autonomie fausserait toute vie morale en sacrifiant le devoir aux droits : c’est trop évidemment oublier que la morale de l’autonomie est avant tout la morale de l’obligation. Mais ce