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est d’autant plus incontestable que l’auteur, de son propre aveu (p. 8, n. 2) n’a pas eu accès au livre russe. — Définir, selon le Vaiçesika, la spécificité (viçesa) des diverses catégories : substance, qualité, mouvement, généralité, particularité, inhérence, négation, qui sont, non pas comme chez Kant, des concepts a priori constitutifs de la pensée, mais, comme chez Aristote, des modalités de l’être ; puis déterminer, conformément au Nyāya ; l’exercice légitime des facultés de connaissance et les règles du raisonnement, tout à fait comparables, malgré certaines différences, à celles du syllogisme grec, — c’est là une tâche dont l’auteur s’acquitte avec autant de lucidité que de précision. En ces matières, il est vrai, le terrain est ferme et solide : toutes ces conceptions, tant de fois pensées et repensées par la scolastique indigène, ont pris une forme classique définitive. A cet égard, un tel ouvrage suppléé dans une certaine mesure à l’enseignement direct donné par les maîtres hindous, que quelques indianistes ont dû aller chercher dans le pays même, tout en fournissant une multitude d’aperçus critiques dont de semblables professeurs se sont montrés jusqu’ici peu capables. Mais l’originalité, de ce livre est ailleurs : elle réside dans une première partie que fort peu d’indianistes eussent pu écrire, où sont traitées, d’une façon aussi complète que le permet l’état de nos connaissances, les diverses questions historiques afférentes au sujet. Sans jamais chercher à réfuter, mais en s’attachant à discerner la valeur limitée de chaque hypothèse émise, l’auteur dégage de la polémique entre Stcherbatsky et Jacobi son opinion personnelle sur la date de rédaction des deux darçanas : il situe celle du Vaiçesika entre 250 et 300 de notre ère, celle du Nyāya entre 300 et 350. C’est dire que les sùtros de ces écoles doivent être postérieurs au nihilisme bouddhique, mais antérieurs à l’idéalisme mahāyāniste, en ce qui concerne les commentateurs le Naiyāyika Vātsyāyana (vers 400) est antérieur au grand logicien bouddhiste Dignāga ; le célèbre théoricien du Vaiçesika, Praçastapāda, parait avoir vécu dans le même siècle (le vie siècle) que ce dernier, probablement avant lui. Faute de pouvoir suivre l’auteur dans son esquisse d’une histoire de la logique indienne, bornons-nous à signaler ce principe directeur : qu’il faut prendre pour points de repère chronologiques les documents bouddhiques ou jainas. — Autant le syncrétisme du Nyāya-Vaiçesika, constitué par la fusion des deux systèmes, est aisément accessible, autant la préhistoire de chacune de ces disciplines, en tant que distinctes l’une de l’autre, est énigmatique ; c’est peut-être faute de connaître les contingences de l’histoire que l’on admet, comme le fait aussi Suali, que les deux systèmes étaient destinés à se compléter mutuellement (p. 25-28) ; nous verrions volontiers, quant à nous, dans cette adaptation tant bien que mal opérée entre deux systèmes d’inspiration différente, un problème à poser plutôt qu’une harmonie à constater. Peu importe cependant car ce sont là des impressions, des hypothèses, tandis que la méthode ici usitée consiste très justement à se documenter sur les faits avérés, non à les reconstruire en fonction d’une interprétation ou à expliquer le connu par l’inconnu ; et notre auteur est dans son droit en étudiant principalement la doctrine éclectique du Nyāya— Vaiçesika, telle qu’on la trouve chez Annambhaṭṭa, Keçava Miçra, Langāksi Bhāskara et Viçvanātha. — Ce livre, qui intéressera tous les esprits curieux de l’histoire des idées, sera précieux à l’indianiste. Les index qui le terminent en font un instrument de travail sûr et pratique. Bien que le volume n’appartienne pas à une collection d’ouvrages d’orientalisme, l’impression des mots sanscrits ne laisse rien à désirer. L’ouvrage est donc à tous égards dignes d’éloges.

Dans une édition future, il conviendra de signaler, à la page 24, note 1, la traduction anglaise des Vaiçesika sutras de Kanāda, parue récemment dans la série desSacred Books of the Hindus.


REVUES ET PERIODIQUES

Logos, Internationale Zeitschrift fur Philosophie der Kultur. Tome II, 1911-1912. Le Logos, tant par la qualité de ses collaborateurs que par l’ample unité qui règne dans sa rédaction, tend de plus en plus à se placer au premier rang des grandes revues philosophiques contemporaines. Dans les trois livraisons qui composent le tome II (1911-1912) plusieurs articles importants sont à signaler. Voici les principaux, brièvement résumés :

Simmel.Begriff und Tragodie der Kultur (p. 1, p. 25).

C’est une profession de foi singulièrement intelligente et riche d’aperçus. « La culture est le chemin qui mène de l’unité fermée à l’unité déployée en passant par la pluralité déployée. » En d’autres termes, la culture est bien l’explicitation des puissances immanentes du sujet, mais