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la médecine il poursuit un but purement philosophique. Plus précisément encore, Sareshel s’insère dans le mouvement nouveau qui prépare la haute scolastique en associant les principes directeurs de la métaphysique néoplatonicienne, aux théories scientifiques d’Aristote. Il appartient à la première période de ce nouveau mouvement, c’est-à-dire à celle où dominent l’influence du Liber de causis et des œuvres d’Avicenne, mais nullement à la deuxième période que domine l’influence d’Averroès. Pour cette raison, que confirme d’ailleurs l’examen détaillé des citations aristotéliciennes que le De motu cordis renferme, on doit en placer la composition vers l’année 1215. La doctrine exposée par ce traité n’a donc rien de commun avec le panthéisme spinoziste, ni avec le matérialisme, comme l’avait imaginé Barach. Une fois de plus nous voyons que les philosophes du moyen âge ne se sont pas contentés de se répéter servilement les uns les autres, mais que d’autre part ils rentrent toujours dans des courants de pensée généraux que l’historien peut et doit déterminer. Cette dissertation où l’érudition la plus précise s’allie sans efforts aux généralisations méthodologiques les plus instructives est une manière de petit chef-d’œuvre. Les pages où l’auteur établit que l’histoire des philosophies médiévales progresse actuellement en situant les penseurs qu’elle étudie dans leur position originale, c’est-à-dire sur des plans différents, mais sans aller jusqu’à en faire des Kant ou des Spinoza, sont particulièrement instructives. Cl. Baeumker, avec une bonhomie charmante, prend en exemple les démêlés qui l’opposèrent à Mandonnet sur la question de Siger de Brabant ; et nous constatons avec plaisir que cette querelle se termine dans le calme ; mais en en tirant, comme il le fait ici, une conclusion objective et une leçon historique, Cl. Baeumker a su lui donner la seule conclusion qui fût digne d’un esprit aussi probe que le sien et d’un savant tel que lui.

Die Kritische Rechtsphilosophie bei Fries und bei Stammler, par Georg Fraenkel, 1 broch. in-8, de 92 p., Gôttingen, Vandenhoeck et Ruprecht, 1912. – Ce travail fait partie de la collection des études publiées ad majorem Friesii gloriam sous la direction de M. Léonard Nelson. La philosophie criticiste du droit de Rudolf Stammler y est confrontée, selon la méthode ordinaire des ouvrages de cette collection, avec la philosophie du droit de Fries. Après avoir signalé la renaissance actuelle de la philosophie du droit, l’auteur oppose la philosophie critique à la fois à la doctrine du droit naturel qui cherche à édifier un code idéal de normes juridiques éternellement valables, et à l’école historique du droit qui se refuse énergiquement à chercher au delà du droit en vigueur ; la philosophie criticiste du droit, fondée par Kant, est à la recherche d’une idée supérieure régulatrice du droit. Stammler se rattache à Kant, mais avant Stammler Fries a cherché dans la même voie, et bien plus heureusement selon M. Fraenkel, de sorte qu’il faut se garder de mettre au compte de la philosophie criticiste du droit en général les fautes de Stammler, puisque Fries y a échappé.

Stammler veut constituer une theoretische Rechtslehre qui mesurera la valeur du droit positif. Le critérium est pour lui l’idée fondamentale de la communauté juridique entre les hommes. Et Stammler appelle richtiges Recht celui qui dans un cas particulier concorde avec l’idée du droit en général. Tout droit « exact » est un droit positif, mais tout droit positif n’est pas nécessairement un droit « exact » n’est droit exact que celui qui est en accord avec l’ « idéal social » de la communauté des hommes au libre vouloir.

Un bref exposé des théories de Stammler (p. 9, 26) est suivi d’une critique de ces théories. Stammler voulait découvrir la loi fondamentale de la vie sociale ; il voulait trouver une méthode permettant de qualifier une règle de droit d’exacte, de juste. Il n’y réussit point, car il n’aboutit selon M. Fraenkel qu’à une formule tautologique, où l’exactitude d’une règle de droit se trouve définie par cette exactitude même (p. 29). L’ « idéal social » de Stammler n’est qu’un concept vide d’où l’on ne peut rien faire sortir, sinon d’une manière purement arbitraire (p. 35). Si Stammler est ainsi arrivé à un principe vide et stérile, c’est, pense l’auteur, à cause de sa mauvaise méthode : Stammler cherche le critérium de l’ « exactitude » d’une norme juridique dans l’absence de contradiction, dans la coïncidence avec l’idéal social ; il croit par l’analyse du concept de droit en dégager les éléments universellement valables mais l’analyse d’un concept ne peut me donner autre chose et plus que ce que j’ai d’abord mis dans ce concept : cette analyse ne peut me donner que des jugements analytiques qui n’étendent pas mes connaissances. D’autre part, en prenant pour critérium de vérité l’absence de contradiction logique, Stammler devait fatalement aboutir au logicisme et au dogmatisme