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du langage. Déjà donc nous vérifions qu’en voulant rester formelle, la logique n’est que verbale (p. 19). En réalité, toutes les classifications de termes dont se sert la Logique sont fondées sur des distinctions verbales (p. 21 et suiv.).

Plus profondément, sous la théorie classique des termes, on retrouve la métaphysique aristotélicienne de l’être, et des genres d’êtres, de l’essence et des accidents. Est-il nécessaire de montrer que la science moderne, et même la mathématique, s’est affranchie de cette philosophie surannée, que nous ne croyons plus à la possibilité de nous représenter le monde à partir du concept de l’être, de ses formes essentielles et accidentelles, et, que par nos concepts, nous ne croyons plus atteindre les choses ? (p. 91).

La vraie théorie des termes et des concepts qu’ils recouvrent doit donc les étudier dans l’usage concret que nous en faisons ; c’est dire qu’elle doit être une théorie du jugement.

Mais l’explication formelle du jugement n’est pas plus satisfaisante que celle du terme. Il est impossible, en effet, d’obtenir une définition formelle vraiment satisfaisante du jugement. Le jugement n’est pas une simple synthèse d’idées ; si on le définit comme l’affirmation d’une vérité, on se met dans l’impossibilité de reconnaître même l’existence de jugements faux ; si on le définit comme l’acte par lequel nous rapportons nos connaissances à la Réalité absolue, on ne peut expliquer son usage pratique pour lequel une telle condition est irréalisable. En réalité, le jugement ne peut être défini en dehors de la signification qu’il tient des liens concrets qui le rattachent à l’évolution psychologique de la connaissance ; mais une telle étude est par définition hors du domaine de la logique formelle (p. 102).

Les logiciens sont donc réduits à étudier les jugements d’après les termes qui les composent et, ainsi, se confirme le caractère verbal des classifications logiques usuelles (p. 105). Les lois mêmes auxquelles doit obéir le jugement, les lois d’identité, de non-contradiction et du milieu exclu, ne peuvent être considérées ni comme des lois des choses, ni même comme des lois de nos idées ; la loi même d’identité A est A est contradictoire dans sa forme. Pour en rendre réellement compte, il faut tenir compte du caractère « volitionnel » de notre pensée concrète, comprendre que nos affirmations sont toujours faites d’un certain point de vue et dans un certain but et que les lois précédentes ne sont, en définitive, que des postulats auxquels nous nous assujettissons, malgré les démentis de l’expérience, lorsque ces démentis n’ont pas d’importance pour le dessein particulier que nous poursuivons. (p. 127).

La théorie de l’lnférence ne parvient pas plus que les précédentes à se constituer d’une façon purement formelle. Dans les inférences immédiates, les transpositions de mots ne sont pas seulement des modifications formelles, mais, très souvent, des modifications du contenu réel de la pensée (p. 178). Dans le syllogisme lui-même, le choix du moyen terme n’est pas formellement déterminé : c’est l’intuition qui le suggère et cette suggestion n’a rien de nécessaire en soi, mais est toujours relative au contenu concret de notre connaissance (p. 198). A fortiori, dans le raisonnement inductif, ne peut-on donner de définitions formelles immuables du procédé par lequel l’esprit s’élève des faits aux principes. En réalité, on ne peut séparer les faits des principes : les uns et les autres n’existent que par rapport à l’esprit humain qui les compare, et la valeur des seconds ne réside que dans leur capacité d’explication des premiers (p. 250). Enfin, la loi de causalité, elle-même, que les logiciens regardaient comme la condition formelle du raisonnement inductif, n’est, en réalité, ni dérivée de l’expérience qui ne nous soumet pas de causes ni d’effets, ni déduite de la raison pure ; elle est aussi un postulat relatif aux besoins pratiques de notre connaissance (p. 285).

En résumé, la logique formelle a méconnu l’impossibilité d’abstraire de la pensée un élément purement formel et indépendant de tout contexte réel et actuel ; de là son incapacité à construire une discipline cohérente et pratiquement utile (p. 375). L’auteur se demande toutefois si, par respect pour la tradition, on ne pourrait, moyennant certaines conventions, maintenir l’enseignement classique de la Logique, en en limitant la portée et en l’accordant avec les prétentions de la Psychologie (P. 392).

Mais, même de ce point de vue, la Logique ne saurait se légitimer : elle n’est pas un bon entraînement à penser ; elle n’est pas non plus un jeu pratiquement utile. Socialement elle serait un obstacle à l’esprit scientifique, qui redoute la fixité et l’immobilité ; elle est même dangereuse pour le véritable esprit religieux qui ne doit avoir rien de dogmatique. La seule conclusion raisonnable de cette discussion est donc qu’il faut supprimer la Logique (p. 409).

On retrouvera dans ce livre la verve et l’humour qui caractérisent la polémique