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M. Monod compte publier plus tard. Deux grandes sections composent le livre : Le Dieu souverain ; le Dieu personne morale. Elles marquent les deux grandes directions de la pensée théologique, et comment elles coïncident avec les deux conceptions politiques dominantes l’une au xvie et au xviie siècle : le rapport du prince tout-puissant à des sujets qui n’ont de leur chef aucun droit ; l’autre au xviiie et au xixe : le rapport du gouvernement constitutionnel des citoyens autonomes. Calvin, malgré quelques incertitudes de sa pensée, voit en Dieu le pouvoir absolu, aussi libre de sauver ou de damner les hommes qu’il l’est, pour un cartésien, de faire que deux et deux fassent cinq. Le centre de sa doctrine est la prédestination, étrangère à tout mérite ou démérite du fidèle. Quelques-uns de ses disciples acceptent intégralement sa doctrine, l’exagèrent même s’il est possible : pour les supralapsaires « les vices ne sont vices que par décret divin ». Mais bientôt l’évolution du droit rend choquante cette apologie du bon plaisir radical. À la doctrine du juriste Hubert Languet, qui le premier indiqua le contrat comme base du droit public, se rattache la doctrine théologique d’Arminius, de Courcelles, appliquant cette même idée de contrat à la création de l’homme, et s’efforçant de donner ainsi un fondement religieux à la conception du Droit naturel. — Elle se développe au xviiie siècle : à la revendication des Droits de l’homme en matière sociale répond la revendication des Droits de l’homme en matière religieuse. La théologie devient théodicée. Kant va plus loin : supprimant toute ontologie théorique, rejetant la morale de Crusius dans les principes d’hétéronomie, il restaure une croyance en Dieu qui dépend exclusivement de la moralité, et celle-ci de l’essence de l’homme. Schleiermacher lui-même, quelque tendance qu’il ait à mettre l’âme dans un état de sujétion inconditionnelle envers Dieu, subit trop l’action de son siècle pour revenir au pur calvinisme. Et Secrétan marque la forme la plus avancée de l’esprit nouveau, quand tout à l’opposé de Calvin il fait de la liberté divine et humaine le pivot de sa théologie. – On voit par combien de côtés ces problèmes peuvent intéresser les philosophes. Ils y trouveront pour le moins, à côté d’une ardente aspiration à résoudre les difficultés dogmatiques qu’ils enveloppent, une forte et précise documentation sur des formes de la pensée moderne que l’histoire de la philosophie avait habituellement négligées.

Le Fondement psychologique de la Morale, par A. Joussain. 1 vol. in-16 de 144 p., Paris, Alcan, 1909. – L’objet que s’est proposé M. Joussain n’apparaît pas très clairement. Deux questions sont confondues dans tout le cours de l’ouvrage : d’une part la question de la genèse psychologique des sentiments et des idées morales, — question intéressante et susceptible d’une solution positive, — et d’autre part la question de leur rattachement à un principe, ou à une loi, ou à un « fondement » scientifique ou métaphysique : question bien différente de la première, et qui, en admettant qu’elle comporte une solution positive, ne saurait être suffisamment étudiés dans un ouvrage de cette discussion. La confusion initiale de ces deux questions, favorisée par l’ambiguïté du mot « Fondement », a conduit l’auteur à mêler les deux points de vue psychologique et métaphysique, et à déterminer en fin de compte, non pas un fondement (cette idée ne correspond à rien de clair), mais un fondement métaphysique de la morale.

Dans l’Introduction, l’auteur essaie de justifier la légitimité de son étude en montrant que la sociologie fait toujours, qu’elle le veuille ou non, implicitement appel à des états et à des lois psychologiques ; il y a lieu d’analyser ces états et ces lois, et l’analyse impliquerait, pour être conduite à son terme, la solution de trois problèmes : 1e Quels sont les conditions et le fondement psychologiques de notre appréciation du bien et du mal ? – 2e Quels sont les conditions et le fonds psychologiques du sentiment et de la notion de droit ? 3e Quels sont les conditions et le fondement psychologique de la sanction interne, satisfaction ou remords ? (p. 11-13).

Dans le chapitre i, le discernement du bien et du mal est posé comme ayant sa condition dans le sentiment de sympathie éclairé par la raison. Il ne saurait donc être absolu, mais relatif à l’état de la sympathie. L’auteur montre en effet dans l’extension ou le rétrécissement du sentiment altruiste la cause de l’extension ou du rétrécissement de la moralité ; il montre également que le sentiment altruiste est étroitement lié à l’état de la représentation, en particulier à l’état de la perception des ressemblances et de la perception des différences. D’autre part la faculté que nous avons de juger des choses en elles-mêmes, abstraction faite de notre sensibilité égoïste, nous permet de substituer à la conception de ce qui est bon ou mauvais pour nous, celle de ce qui est bon ou mauvais d’une manière