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concerne bien moins le problème de l’irrationnel que celui de la science historique : Cournot attendait inconsciemment de grands services de cette notion. Car, au contraire de M. Milhaud, je vous reproche de ne pas être assez métaphysicien, de méconnaître que Cournot avait, si j’ose dire, une métaphysique de derrière le cœur : il croyait. M. Espinas disait que Cournot ne ménageait, dans le monde, des « îlots d’accidents » qu’afin de permettre à l’action divine de s’y exercer. Pourquoi le hasard ne cacherait-il pas une intervention de Dieu dans les événements historiques ?

M. Darbon. — Il est impossible de préciser la religion de Cournot : il était religieux, mais il est toujours resté, sur sa religion, d’une discrétion admirable. Quant à l’hypothèse à laquelle tous faites allusion, elle me parait compromise par le fait suivant : nous savons que la foi de Cournot a évolué ; sa théorie du hasard n’a jamais varié ; est-on fondé à rapprocher l’une de l’autre ?

M. Bouglé. — Il dit quelque part qu’une apologétique adroite peut se servir de la notion de hasard.

M. Darbon. – Cette preuve n’est pas péremptoire.

M. Bouglé. — Je ne vous demande pas de le croire. Au contraire. Mais la question se pose. Enfin, vous reprochez à Cournot d’avoir une métaphysique incomplète : la vôtre est voilée. Cournot dit : Il y a des faits. Renouvier met des volontés derrière ces faits ; et vous vous déclarez satisfait par cette explication claire… M. Darbon. — Cette formule n’épuise pas la pensée de Renouvier. Ma thèse est la préface du travail que je compte entreprendre sur le hasard chez Renouvier et chez Hamelin, Ce n’est qu’après cette critique que je tenterai de constituer ma métaphysique.

M. Bouglé. — La critique est aisée… D’accord. Mais pourquoi prenez-vous à votre compte la pensée de Renouvier ? Vous êtes injuste envers Cournot ; car il n’est pas clair que nécessité implique solidarité ! Vous me direz que les lois de la Raison se confondent avec les formes de l’Être, qu’une déduction…

M. Darbon. — Une construction…

M. Bouglé. — J’ai employé le mot à dessein afin de vous donner l’occasion de nous dire quelle est cette méthode synthétique que vous voulez employer.

M. Darbon expose brièvement la méthode, à la fois hégélienne et aristotélicienne, de son maître Hamelin.

M. Bouglé le remercie de son exposé, mais il fait remarquer que l’absence de cette synthèse hardie justifie la prudence de Cournot et l’insistance avec laquelle il nous rappelle qu’il y a des Faits.




II. Le nominalisme et l’explication mécanique. — M. Lévy-Brühl rappelle le souvenir d’Hamelin, qui fut le maître de M. Darbon et donne la parole à celui-ci. M. Darbon résume sa thèse.

Un assez grand nombre de savants












parlent aujourd,’i]ui d’Une valeur symbolique de la science c’est, semble-t-il, un résultat de l’échec du mécanisme. S’il y a en effet des principes mécaniques, on peut prétendre a l’intelligence du réel s’il n’y en a pas qui soient valables, la science n’est qu’un symbolisme, un tangage. Cette philosophie’de la science est le Nominallsm’e. L’esprit perdrait donc, en l’analysant, confiance en soi mais cette conclusion est-elle légitime ? Condillac va-t-il gagner le procès perdu par Descartes ? Il ne le semble pas. Pourquoi l’explication niécanislé à-t-elle été abandonnée. ? M. Darbon l’a explique dans son travail, 1 ! rappelle que l’énergétique réintroduit dans la science des notions non méoanistes comme celle d’espèces iS faut parexempie des hypothèses spéeiales pour rendre compte des phénomènes de viscosité. On ne peut donc plus dire, selon le mot de Newton, que la nature est toujours et partout conforme à elle-même. Mais une te lle science est-elle purement symbolique ? Pour qu’il y ait symbole, il faut que nous saisissions entre les parties de deux choses des rapports généraux admettre ëêla,. c’est s’éloigner du noniinalisme., et on ne peut pas parler de la commodité, mais de la vérité de la science. L’abstraction scientifIque n’est pas rendue artificielle par le fait qu’on ne prend pas pour absolus les rapports qu’elle établit. Son procédé est analytique et déduclif c’est l’induction qui doit formuler les lois or l’induction va des rapports superficiels aux rapports plus profonds nous faisons des hypothèses sur la nature de l’interne et nous en déduisons celle du fait extérieur Mais. comme le vrai peut se déduire du faux, il faudrait admettre une infinité d’hypothèses, que la dialectique ne pourrait éliminer il faut donc leur donner une probabilité différente ce rôle de la probabilité dans la théorie de l’induction a été dégagé par Cournot et par’Hameiin. Il reste a apprécier la valeur de-ta science c’est ce que permet la distinction des points de vue qualitatif et quantitatif. Le savant affirme d’abord un rapport, puis il cherche â établir une fonction