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leur, énergies chimique, électrique, etc.), peut-être sera-t-il donné aux savants de montrer l’existence, non pas d’une force vitale supraphysique (Lebenskraft), mais de corps chargés d’énergie vitale (Lebensstoffe).

Le professeur Berthold Hatschek, à propos du centième anniversaire de la naissance de Darwin, célèbre le darwinisme comme la plus vaste et la mieux assurée des théories scientifiques, et développe quelques-unes des conséquences sociales et morales qu’on en peut tirer.

Le Dr Karl v. Roretz critique l’idée de finalité dans la psychologie et la théorie de la connaissance avec une rare rigueur ; il la trouve partout dans le volontarisme et le pragmatisme contemporains. On veut faire une psychologie sans âme ; mais l’âme s’appelle aujourd’hui volonté, attention, idée-force. M. Roretz passe rapidement en revue les phénomènes réflexes, la douleur et le plaisir, l’attention, les rêves, l’inconscient, l’activité artistique ; partout il décèle les erreurs et les sophismes de l’explication finaliste. C’est que la fin n’est pas un élément de la réalité ; elle n’ajoute rien à la réalité, elle n’explique rien, elle est étrangère aux sciences. Il y a pourtant un royaume des fins : la fin est là parce que nous l’y avons mise ; les réalités de ce domaine ne sont pas des objets à connaître, mais des tâches à accomplir : elles ne sont pas, elles doivent être. Là seulement la finalité a sa place, que jamais on ne lui disputera.

Das Problem der Theodicee in der Philosophie und Litteratur des 18 Jahrhunderts bis auf Kant und Schiller, par le Dr Otto Lempp. 1 vol. in-8° de vi-432 p., Leipzig, Dürr, 1910. — Cet ouvrage a été couronné par la Kantgesellschaft à la suite d’un concours pour le prix Walter Simon. Disons tout de suite qu’il mérite pleinement et la distinction et les éloges qui lui ont été accordés par des juges autorisés. M. Lempp a su donner la vie à la masse considérable d’informations dont il disposait, parce qu’il a vu tout l’intérêt philosophique de cette question de la théodicée, où la pensée scientifique moderne livra un grand combat à la pensée théologique ; il a su mettre à profit sa grande érudition pour écrire un tout beau livre de philosophie. Il a su introduire dans cette histoire de la pensée humaine à un de ses moments critiques une ordonnance très ingénieuse en distinguant la théodicée intellectualiste, et au sein même de cette dernière l’intellectualisme rationaliste d’un Leibniz et d’un Wolff de l’intellectualisme empiriste d’un Shaftesbury, et la théodicée à tendances idéalistes et religieuses (Lessing, Rousseau, Herder, Kant). Sans doute on pourrait faire bien des réserves et présenter mainte critique de détail sur les classifications faites dans ce livre ; mais il reste qu’elles introduisent de la clarté en cette matière touffue et qu’elles ont permis à M. Lempp de bien montrer la dialectique interne qui régit l’évolution des idées du xviiie siècle.

Pour qu’on se pose le problème de la théodicée, il faut, d’une part, que l’on croie à l’existence d’un Dieu, d’autre part, que l’on estime la raison compétente pour juger le gouvernement de Dieu. Depuis la critique de Bayle, le problème de la théodicée cesse d’être une question de théologie pour se poser à tous les hommes religieux : « Qui est en question ? Ce n’est plus le rapport de Dieu au monde, mais la plaie de la religion dans le monde et son existence même. M. Lempp note très justement que pour la théologie chrétienne des Pères et même des Réformateurs, qui acceptaient le dogme du péché originel et ne voyaient dans la nature que des actions divines, le problème de la théodicée ne pouvait même pas se poser. Mais au xviie siècle, sous l’influence de la scolastique qui, en Allemagne, desséchait la religion protestante, sous l’action du rationalisme stoïcien renaissant dans la théologie socinienne, de la lassitude qui suivit les grandes luttes religieuses










et poussa les esprits à rechercher la religion rationnelle commune à toutes les confessions, de la critique historique naissante, le désir se fit jour de réduire la foi révélée à une « religion naturelle ». -Une évolution parallèle dans les sciences faisait apparaître le monde, la nature, comme quelque chose qui aune existence et des lois propres.

Avec Bayle tous les éléments de la discussion sont donnés, et avec eux le problème même de la théodicée : tandis que la plupart des adversaires de Bayle (King, Juriéu) ne quittent pas les voies banales et traditionnelles. Leibniz, intellectualiste à la fois et profondément religieux, résout le problème en intellectualisant l’idée de Dieu, mais par là même il ôte au problème son caractère religieux, de telle sorte que par une logique immanente l’intellectualisme aboutit au pessimisme de Mandeville, aux écrits de Bolingbroke qui, bien qu’optimiste, dénie à Dieu les attributs moraux, aux opinions de Butler, Wollaston, Swift et Johnson qui, optimistes ou indifférents en théorie, peignent la vie sous des couleurs sombres et préparent le pessimisme spéculatif ; enfin à Voltaire, auquel M. Lempp a consacré