savants qu’aux doctrines auxquelles ils se rattachent. Le mécanisme peut être dogmatique ; il suffit de se demander quelle portée on donne au principe du mouvement. Par contre, l’arithmétique à laquelle l’énergétiste voudrait se rapporter comporte ce progrès que vous réservez au mécanisme ; voyez la généralisation du nombre.
Quel est le système le plus conforme à la connaissance ? Toute connaissance suppose une représentation. Je suis de cet avis. Mais pas plus l’énergétisme que le mécanisme ne se passe de représentation. Les mathématiques ont besoin d’intuitions. Les sciences les plus abstraites supposent l’intuition. L’énergétisme ne saurait être purement formel. D’autre part, le mécanisme ne saurait être purement intuitif, mais comporte du formalisme, des concepts. Si un système est formaliste ou intuitif, c’est une question de degré, non de nature, d’être formaliste ou intuitif. Maintenant, quelle quantité d’intuition et de formalisme faut-il mettre dans la science, c’est au savant à répondre. Nous, nous pouvons seulement constater que des deux côtés les lois de l’esprit sont respectées. Vos critiques me paraissent donc porter plutôt contre certaines formes d’énergétisme que contre l’énergétisme en général.
M. Rey. J’ai été gêné par la terminologie des savants. Une certaine façon de
concevoir l’énergie rentre dans les théories
figuratives (Helmholtz par exemple) ;
pour beaucoup d’énergélistes, l’énergétique
est un chapitre delà physique. Mais
tout un groupe de savants, dont Mach,
Duhem, etc., entendent l’énergétisme dans
un tout autre sens. Par exemple Mach,
dans toute science, distingue 10 une période
expérimentale 2" une période déductive
3" une période formelle. Pour lui,
toute l’ambition de la science est d’arriver
à la troisième période. Or je ne crois pas
que ce doive être l’ambition de la science.
C’est une question de plus ou de moins,
dites-vous. Je vous l’accorde. Mais faut-il
aller dans le sens du plus ou du moins ?
Faut-il aller, avec M. Duhem, dans le sens
d’une systématisation absolument logique,
qui élimine toute intuition ? Il faut juger
les théories par ce qu’elles donnent. Or je
crois que pour qu’elles soient fécondes, il
faut faire une large part à l’intuition.
C’est ce que j’ai voulu montrer, en critiquant
la forme absolue de l’énergétisme.
M. Boutroxix. Au point de vue philosophique,
j’ai été intéressé par ce que vous
dites de la synthèse déductive, fusion du
principe d’identité et de l’intuition sensible.
Mais je vous demande 1° si le mot
sensible est nécessaire. Je crois que toute
intuition est à la fois sensible et transcendentale.
Il n’y a pas de donné pur et
simple ; 2° faut-il dire, pour s’exprimer
exactement : identité ou identification ?
L’identique n’est pas donné. L’identité est
établie. Réduire, c’est établir une identité,
en considérant les choses d’un certain
biais. C’est un travail de l’esprit. Il n’y a
pas plus de choses données comme identiques
que d’intuition sensible.
M. Rey. J’ai mis intuition sensible,
parce qu’ « intuition » seule dit trop
actuellement, et que si on dit transcendental,
on pose une opposition au sensible
bien plutôt qu’une union du transcendental
et du sensible. Sur le fond, je
suis d’accord avec vous.
M. Boulroux. Un mot sur la portée de
vos conclusions. Prédire le triomphe du
mécanisme, c’est peut-être aller bien
loin. Vous identifiez quantité et mécanisme.
Mais les énergètistes distinguent
entre quantité et mécanisme, " le mouvement
n’étant qu’une des choses quantifiables.
Vous n’avez pas le droit d’imposer
à la science ses symboles, pas plus le
symbole a mouvement » que tout autre.
Mais je crois juste cette conclusion que,
dans la science qui se fait, l’homme doit
considérer ses facultés et envisager Jes
choses à son point de vue. L’homme a
besoin de symboles.
M. Rauh. Votre doctrine serait celle
d’un empiriste intellectualiste. Pour les
objections, je me rencontrerai avec
M. Boutruux. Il est resté dans votre
pensée quelque chose des traditions de
pensée qui ont subsisté jusqu’à nos jours.
Vous entendez trop la philosophie d’une
façon traditionnelle. Vous essayez d’indiquer
les voies dans lesquelles veut entrer
la science, les conditions permanentes
qui s’imposent à la pensée humaine.
Pour moi, je crois que la philosophie a
une tache négative ouvrir la voie à la
science, lever tous les obstacles qui lui
viendraient d’une théorie de la connaissance.
Je dirais au savant « Il n’y a
pas de conditions fondamentales de la
connaissance qui s’imposent à vous, ou
elles sont par trop lointaines ; il n’y a pas
de direction nettement définie dans
laquelle vous deviez entrer. Allez de
l’avant ! » II me semble, en effet, qu’on
peut retourner vos thèses à ce point de
vue. Une de vos idées fondamentales est
celle de la continuité de la science ou de
la découverte scientifique. Il me semble
aisé de montrer aussi bien que le progrès
de la science s’est fait par révolutions successives,
par exemple en passant de la
mécanique scolastique à la mécanique