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vous alliez de la condition au conditionné, ou du conditionné à la condition ? Tantôt il me semble que c’est l’un, tantôt que c’est l’autre.

M. Hamelin. Ma marche ordinaire est du simple au complexe.

M. Boutroux. Est-ce du conditionné à la condition ?

M. Hamelin. Ces mots ne conviennent pas. Je vais du simple au complexe, de l’abstrait au concret.

M. Boutroux. Votre méthode n’est ni hégélienne ni synthétique. Elle correspond plutôt à ce qu’est pour Leibniz le développement de l’esprit : vous analysez l’idée confuse du réel, comme un leibnizien ses petites perceptions. Votre méthode est ainsi, en fin de compte, analytique. Votre point de départ, c’est l’idée confuse du résultat à atteindre. La synthèse, chez vous, n’est qu’une analyse retournée.

M. Hamelin. J’ai toujours déclaré qu’il était possible, la synthèse une fois accomplie, de déduire analytiquement. Ma méthode n’en est pas moins synthétique. L’idée de corrélation est claire : elle a été mise en lumière par Kant et Renouvier. Elle s’explique dans ma thèse par l’application, par le détail. Par exemple, elle apparaît nettement dans la triade : unité, pluralité, totalité. Unité et pluralité ne sont pas contradictoires, ne s’excluent pas, et l’on ne peut pas non plus concevoir l’un des termes sans l’autre. La totalité les implique tous deux. Est-ce l’idée de l’ensemble, ici, qui guide ? Peut-être, mais je ne le crois pas. Je suppose l’idée de l’ensemble, dites-vous : est-ce moi ou le terme dont je pars ? Je remarque que je ne peux poser l’unité sans pluralité, ni les poser l’une et l’autre sans les poser dans la totalité. Mais les éléments existent, sont pensables, et il y a progrès véritable quand on passe des éléments à la totalité, quand on passe de la considération des corrélatifs à la conciliation.

M. Boutroux. N’êtes-vous pas guidé par l’idée du résultat ?

M. Hamelin. J’ai voulu avoir une marche progressive, et fondamentalement progressive, et non pas seulement progressive en apparence.

M. Boutroux. Je ne comprends pas comment le nombre devient corrélatif de la relation. L’opposé de la relation me paraîtrait plutôt la séparation.

M. Hamelin. La relation implique deux termes distincts et qui ne peuvent être l’un sans l’autre.

M. Boutroux. Je vois mal également le passage du mouvement à la qualité. Le mouvement sera-t-il le composé ? Le simple sera-t-il la qualité ? Je ne vois pas que simple veuille dire qualité. L’identification est-elle possible ?

M. Hamelin. Je croyais voir ici une idée claire et ancienne.

M. Boutroux. Votre dynamisme mécanique, sur la question de la causalité, est profond, mais paradoxal. Tout d’un coup, dans votre thèse, surgit la conscience. Comment, par synthèse de choses inconscientes, pouvez-vous produire la conscience ?

M. Hamelin. Il ne s’agit pas pour moi de créer une chose en la faisant sortir de ce qui n’est pas elle. Il s’agit uniquement d’amener chaque concept à sa place en démontrant pourquoi c’est à telle place qu’est amené tel concept. Expliquer, c’est donc amener à sa place, et « intelligible » n’a pas d’autre sens pour moi.

M. Boutroux. Pour moi, c’est renoncer à comprendre. Votre concept surgit à un moment donné, comme le deus ex machina.

M. Hamelin. Mais alors toute notion qui ne se réduit pas à une autre est un deus ex machina.

M. Boutroux. Pour moi, la véritable intelligence des choses consiste dans le fait d’unir l’entendement et l’expérience. Vous avez le tort, à mon avis, de ne faire appel qu’à l’entendement. Pour moi, la fonction de l’entendement est de dissoudre les touts indistincts et de former des abstractions. L’entendement crée les concepts et pose les termes avant les rapports. Pour prendre un exemple, le type de l’intelligibilité, ce sera la loi de l’attraction newtonienne : deux masses s’attirant selon une relation définie.

M, Hamelin. Ce qui est pour vous le type de l’intelligibilité, c’est pour moi le type de l’inintelligible même. La juxtaposition empirique des concepts est inintelligible. Nous sommes placés à des points de vue diamétralement opposés.

M. Séailles. Je me réjouis de votre thèse, parce que j’y ai appris quelque chose, quelque chose d’impersonnel et d’universel. Mais je n’ai pas tout également compris, pressé par le temps dans la lecture d’une œuvre si importante, et j’aurais besoin encore de quelques explications.

M. Sêailles ne comprend pas pourquoi la fluidité du temps s’impose à lui ; il se demande si tant qu’on s’en tient à l’entendement, le principe de finalité s’impose nécessairement, si, lorsqu’on arrive à la conscience, il ne s’introduit pas une sorte de dualisme dans l’œuvre de M. Hamelin.

M. Egger demande des explications et présente des objections au candidat sur des points de doctrine, sur lesquels, lui-