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supérieures à celles qui se trouvent stéréotypées et universalisés par l’État. Il ne faut pas d’ailleurs priver les parents d’une responsabilité dont la suppression reculerait indéfiniment le perfectionnement de la famille. Il s’agit donc de trouver un compromis, « un arrangement efficace qui renforce la discipline mentale et morale de tous les enfants sans imposer la volonté de la majorité sur sa direction générale contre la conviction et les désirs des parents pris individuellement ». — Appliquant cette méthode à l’enseignement religieux, M. J. Olifant en subordonne l’organisation et l’influence sur le reste de l’enseignement à la demande des parents, variable avec les régions. La solution française de la neutralité laïque n’est pas même envisagée par l’auteur : « un enseignement purement séculier, dit-il, est une impossibilité ». Cela même est caractéristique.

Le problème éthique dans une communauté industrielle est posé par M. Kirkman Gray d’une façon bien originale. Étant donné que dans nos sociétés modernes les relations les plus nombreuses et les plus importantes ne s’exercent pas d’individu à individu, mais de groupe à groupe, entre des êtres qui s’ignorent, ce n’est pas en émouvant leurs cœurs sur des cas industriels (de misère profonde par exemple) qu’on pourra promouvoir les hommes à des actes démontrés utiles par la Science. Il s’agit d’animer à leurs yeux des rapports et des statistiques. Or l’art symbolique et mystique doit précisément sa valeur émotive à ce que les êtres y sont aussi peu individualisés que possible. La société moderne rend donc nécessaires une symbolique et une mystique nouvelles, chargées de dégager l’émotion humaine générale des schémas abstraits. On peut douter de la valeur de la méthode, dont l’auteur d’ailleurs laisse vraiment trop dans le vague les applications : mais n’y a-t-il pas là une source de documents nouveaux pour la psychologie de l’humanitarisme ?

M. Edw. Moffat Weyer (a new search for the soul) montre que c’est tout à fait sans preuves que les physiologistes ont admis qu’à chacun de nos sentiments correspondait exactement un état du cerveau. Le langage, la mémoire, les idées, voilà les produits du cerveau. Les sentiments, voilà au contraire le vrai courant intérieur, la trame de notre personnalité.

À signaler les comptes rendus de la biographie de Sidgwick ; de l’ « Aristotle’s Theory of Conduct » de Marshall, de « the Finality of the Christian Religion » (G. Burman Foster), et enfin de l’étude sur le dédoublement de la personnalité de Morton Prince.

Avril 1907. — M. A. C. Pigou, essayant de définir la morale des Évangiles, fait ressortir cette « ironie » de la destinée du Christ que, ayant demandé surtout qu’on révérât son divin message, c’est sur sa personne au contraire que ses disciples ont reporté l’adoration. Il en résulte que dans les Évangiles la personne de Jésus tient plus de place que ses paroles. Il apparaît pourtant 1° qu’il ne recommandait pas la justice en vue du bonheur, mais pour elle-même ; 2° qu’elle consistait dans un état d’âme (to be) plus encore que dans des actes (to do) ; 3° qu’elle consistait dans la complète dévotion à l’idéal aimé ; 4° que l’amour, purifié de tout égoïsme, était pour le Christ le moyen et le but ; mais non le but unique, car il y en avait un autre : le bonheur d’autrui.

M. Carl Heath, à l’appui d’un bill qui doit être bientôt déposé à la Chambre des Communes, insiste, à l’aide d’exemples récents, sur les raisons qui militent en faveur de l’abolition de la peine de mort, au moins pour les femmes, et montre la nécessité de peines graduées et variées pour les diverses catégorie d’homicide.

M. William M. Salter nous montre dans la Révolution russe la conséquence de cet étrange phénomène d’un gouvernement qui, au lieu de servir son peuple, fut une charge pour lui, tâcha d’en vivre, pressura et avilit la classe paysanne, fit obstacle à la naissance de l’industrie et du commerce, étouffa l’esprit d’initiative. Mais le mouvement, à l’origine, fut entièrement' intellectuel (?). Pour fonder un gouvernement responsable, il lui faut une force. M. W. Salter la voit apparaître dans la haine contre la bureaucratie, la révolte militaire et paysanne, le développement de la classe ouvrière et de l’industrie.

M. W. R. Sorley (Ethical aspects of Economics, II) montre que le problème soulevé par lui dans son précédent article (le rapport de la valeur économique à la valeur en général) ne saurait être résolu par l’étude des faits. Il s’agit de déterminer un idéal. Ni la science historique de la morale, ni le sophisme conservateur (valeur absolue du présent ou du passé) ni le sophisme radical (toute transformation est un progrès) ne peuvent y suffire ; car toutes ces méthodes s’inclinent devant le fait. La validité d’un jugement éthique se détermine par deux voies principales 1° il doit être capable de systématiser l’expérience entière de la vie sans contradiction interne ; 2° faute de pouvoir appliquer ce premier critère, nous devons