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ments, bannir la forme systématique, étendre le champ de l’expérience par la découverte des conséquences lointaines des actes, utiliser les faits de la vie quotidienne, éviter autant que possible les leçons dogmatiques faites à heure fixe, « qui mettent les enfants en méfiance » et leur donnent le sentiment qu’on s’arrange pour leur « voler leurs sympathies ». C’est ainsi seulement que l’autorité servira à développer la personnalité.

M. Charles F. Dole (About Conscience) nous apprend que la conscience morale est une des plus grandes forces de la vie ; qu’elle comporte deux éléments, l’un émotionnel, l’autre intellectuel, le deuxième devant faire l’éducation du premier ; que même les vertus individuelles ont une origine sociale ; que le devoir n’est pas la voix de Dieu, mais une force émanée de Dieu ou de l’Univers, laquelle, se réfractant à travers des individus d’intelligence variée, perd de sa rectitude.

Les positivistes anglais, déclare M. Stanton Coit (Humanity and God), sont fiers de nous avoir habitués à associer ces deux mots : Humanité et Dieu, et à rendre à l’Humanité divinisée les hommages qu’on rendait jadis à Dieu. Mais pourquoi ont-ils dit simplement : l’Humanité et Dieu ? et non l’Humanité est Dieu ? Simple raison d’économie morale : ils n’ont pas voulu donner au public plus que ce qu’il demandait ni que ce qu’il pouvait supporter. Mais, depuis dix ans, le public anglais est mûr pour une doctrine plus radicale. Les Sociétés d’Éthique ont complété en le développant le positivisme sur trois points : 1° elles ont glorifié l’Idéal Moral, comme il avait glorifié l’Humanité, et montré que toute la valeur de celle-ci est dans celui-là ; 2° elles ont affirmé l’indépendance de la morale vis-à-vis non seulement du matérialisme, mais de l’agnosticisme même, que les positivistes avaient pris pour base de leur doctrine ; 3° Dieu n’a jamais été (les Sociétés d’Ethique ne l’ont pas proclamé, mais c’est la pensée de plusieurs de leurs membres) qu’un autre nom pour l’Idéal Moral.

Dans un article trop long et trop riche en subtiles analyses pour être ici résumé, Miss E. E. Constance Jones critique quelques points des Principia Ethica de M. Moore. Elle reconnaît avec M. Moore que le Bien en soi est indéfinissable, non parce qu’il est unique : une notion unique peut être définie. (exemple : l’orangé). Mais une abstraction pure, une notion prise en soi ne peut l’être : on ne définit que des relations concrètes. — Pour M. Moore, l’hédonisme psychologique de Mill confond l’objet de mon désir avec la cause de ce désir, laquelle peut être tout autre chose que l’objet, le plaisir futur escompté, à savoir un plaisir présent. Miss C. Jones trouve l’analyse « douteuse ». Pour elle, l’hédonisme psychologique est simplement une exagération et une universalisation de ce fait que le plaisir tient une place considérable parmi les objets de notre désir et nous apparaît comme raisonnablement désiré. Enfin Miss C. Jones reproche souvent à M. Moore d’abstraire le plaisir, dans sa discussion de l’utilitarisme, du « Tout agréable », de la chose bonne dont il fait partie et qui est, selon les utilitaires, la vraie fin de l’action. Sans doute, mais n’est-ce pas pour eux en tant qu’agréable que cette fin doit être recherchée, et cette abstraction, n’est-elle pas l’hédonisme même ?

M. A. Schinz (Littérature and moral code) oppose au culte latin de la liberté absolue de l’art le mouvement anglo-saxon actuel en faveur d’une restriction de la liberté de discussion des idées morales, bases de la démocratie. Cette opposition s’explique, selon lui, par ce fait que la littérature, démocratisée en Amérique, reste en France le privilège d’une élite. Le danger redouté là-bas est donc ici évité, et l’élite constitue un champ d’expérience excellent où les idées morales peuvent s’éprouver avant de se répandre. Mais A. Schinz a-t-il prouvé que cette « élite » supporte mieux que la masse la dissolution des idées morales et que, une fois la littérature démocratisée, nous admettrions mieux une restriction de ses droits ?

M. Max Forrester Eastman (Patriotism ; a primitive ideal) reprend avec éloquence la thèse tolstoïenne de l’anti-patriotisme. Le patriotisme est anti-chrétien. Il ne saurait être un idéal, car il consiste dans la « loyauté envers l’étal auquel on s’identifie », c’est-à-dire qu’à la différence de l’homme de bien, le patriote doit s’attacher non à ce qui est bien et juste, mais à l’injustice même en faveur de son pays. Le patriotisme, comme l’orgueil, n’est une vertu que dans l’enfance des nations, comme condition de croissance.

The sportsman at bay, de M. Henry S. Salt, est un amusant catalogue des sophismes des chasseurs. (La chasse est une « bénédiction » pour le gibier, qu’elle « préserve » de la disparition. Ceux qui le nient, n’ayant jamais chassé, « manquent de compétence ». Les Tirs au Pigeon font à cet oiseau la vie « courte et bonne ».) Mais ces sophismes valaient-ils une « controverse, et M. Salt croit-il que sa triomphante logique ait réduit « le chasseur aux abois » ?

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