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31 une philosophie systématique, ordonnée ou du moins prétendant l’être. M. Gilson. Sans doute, mais au point de vue de la liberté la tentative n’aurait pas abouti. 11 n’en est, il est vrai, pas de même pour d’autres questions, notamment pour celle de la connaissance. Je me propose d’ailleurs d’étudier ultérieurement la théorie des idées innées chez de Bertille en la rapprochant de celle de Malebranche. .V. Rebelliau. Vous auriez pu insister sur la méthode qu’employait de Bérulle. Vous l’avez bien caractérisée; il dédaigne la voie épineuse du syllogisme et préfère l’ascension directe de l’àme à la vérité, l’intuition. Mais vous dites que Descartes a connu le néo-platonisme par de Bérulle. .Yaurait-il pas pu le connaitre autrement? M. (lilson. Oui, par des livres usuels. M. Rebelliau. On lisait alors beaucoup d’ouvrages mystiques pleins d’alexamlrinisme, dans lesquels des néoplatoniciens sont cités comme des pères de l’Église. Ce n’est donc peut-être pas uniquement par les Oratoriens ou par saint Augustin, mais aussi par les ouvrages courants de piété que Descartes a connu le néo-platonisme. Vous avez bien étudié (p. Ml et suiv.) les rapports du père Gibieuf et de Descartes, mais vous avez exagéré. Ailleurs (p. 188) vous montrez que le livre de Gibieuf est une critique du Molinisme. Vous dites que, pourattein(Ire plus sûrement son but, le père Gibieuf relie à la conception de la nature divine, qu’il tient du cardinal de Bérulle, la solution du problème de la liberté humaine qu’il entend opposer à celle de Molina. Mais le père Gibieuf n’a pas inventé ta liaison du problème de la liberté humaine et de la nature divine. M. Gihon. L’homme, être créé, dépend d’un maitre à la direction duquel il doit se plier dans tous ses actes. 11 est tenu par sa nature de toujours vouloir réaliser une fin; en Dieu au contraire il y a surabondance d’essence, infinité; sa liberté est donc indifférence. Voilà comment Gibieuf opère la liaison. M. Rebelliau. Vous parlez (p..327) du Thomisme qui conduit par évolution au jansénisme. M. Gilson. – Je trouve en effet que du thomisme au père Gibieuf il y a comme un progrès, et que du père Gibieuf au Jansénisme la transition est faible. M. Rebelliau. Mais l’expression d’évolution est susceptible d’induire en erreur. Le Jansénisme a d’autres sources. Vous dites (p. 328) que Gibieuf utilisa un argument dont Jansenius allait faire un redoutable usage, en rapprochant la doctrine de Molina de celle de Pélage jadis condamnée. Mais Gibieuf n’est pas le premier qui ait rapproché les deux doctrines. Enfin, lorsque vous étudiez (pp. 10, 11) l’enseignement donné à la Flèche, et dans d’autres passages encore de votre ouvrage (p. 113, notamment), vous insinuez que Descartes avait toujours reçu un enseignement thomiste et scolastique. Est-ce vrai? M. Gilson. Oui, pour la scolastique. Seulement, pour ce qui concerne le Thomisme, il faut préciser. La philosophie enseignée à la Flèche était en gros conforme à celle de saint Thomas; mais il faut signaler une influence scotiste dans les Conimbres, et chez Suarez une modification du Thomisme orthodoxe. Il v a en somme appropriation et non pas seulement répétition. M. Rebelliau. Suarez se rattache, quoi que que vous en pensiez, au Molinisme plutôt qu’au Thomisme. M. Gilson. Mais par rapport à Scot il est en partie thomiste. M. V. Delbos. Je tiens d’abord à vous féliciter, Monsieur, de votre travail, qui est essentiel pour .un historien de la pensée philosophique au xvii" siècle, et dont j’ai beaucoup goûté à la fois le style souple, vif, mordant et rapide, et aussi la méthode sérieuse et soucieuse d’exactitude et de précision. Je vous connaissais déjà pour vous avoir vu travailler et j’avais déjà pu apprécier en vous ces qualités. J’ai été heureux de les retrouver ici. J’ai, néanmoins, quelques réserves à faire; elles ne vont pas très loin et ne rompent point du tout l’accord que je me plais à reconnaître entre votre interprétation et la mienne. Votre méthode vous a entraîné trop loin, en ce que vous nous avez montré trop souvent Descartes s’adnptrint aux circonstances et soucieux de ses intérêts; le Descartes révolutionnaire reste, malgré tout, le vrai, et même si vous avez raison le souci de l’accord interne de la doctrine était, chez lui, trop profond pour ne point résister aux considérations externes. Ainsi, il eût été utile de faire ressortir, plus que vous ne l’avez fait, le rapport du problème dela Liberté avec l’ensemble de la doctrine. En outre, considérez que souvent Descartes est en garde contre les théologiens et réserve certaines questions. Voilà qui limite la portée de quelquesunes de vos thèses. Votre étude comprend deux parties. Dans la première, qui concerne la liberté divine, vous montrez comment Descartes a rencontré et suivi le courant t