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– 29 – sans même aller à la ligne, vous passez à un autre ordre d’idées, l’exposé des textes relatifs aux vérités éternelles c’est là en réalité un chapitre 2, que vous avez fondu avec le premier. M. Gilson. Je reconnais que la critique est parfaitement fondée. J’aurais dû faire un autre chapitre. C’est un souci d’esthétique qui m’a retenu, la. peur d’abuser des divisions. M. Léuy-Brùhl. La logique en souffre un peu. Mais je laisse ces remarques de forme. Venons-en à des questions plus essentielles. Il m’a semblé que vous interprétiez en général les textes philosophiques avec objectivité, sans les solliciter sous l’influence d’une idée préconçue. Cependant, malgré cette prudence, ne dépassez-vous pas parfois le texte? Ainsi, à propos des causes finales, vous dites (p. 93) que pour Descartes l’idée des fins que Dieu se proposerait est une idée impossible à soutenir, absurde en son fondement en somme, selon vous, Descartes, en rejetant la recherche des causes finales, déconseillerait de rechercher ce qui n’existe pas. Mais, dans le texte latin, il n’est pas dit du tout que cette idée soit absurde. M. Gilson. Oui, mais Descartes découvre sa pensée quand il déclare que ce serait là concevoir Dieu à l’image d’un homme. M. Lévy-Bn’i/d. – Soit Descartes rejette l’anthropomorphisme. M. Gilson. Ce n’est pas la critique de l’anthropomorphisme, c’est son application au problème des causes finales qui est spécifiquement cartésienne. .M. l.évy-Bi-ûld. -Je l’admets. Mais tout ce qu’on peut tirer de là, c’est que la tinalité divine, s’il y en a une, ne peut être représentée sur le type de la finalité humaine. Dire qu’il n’y a pour Dieu aucune espèce de fins, nous ne le pouvons pas nous pouvons dire seulement, d’après le texte, que ces tins sont en tous cas différentes des fins humaines. M. Gilson. Oui, j’accepte cette idée en soi, mais je fais une restriction Descartes ne fait pas la distinction entre ces deux sortes de tins. plus curieux que dans le paragraphe 28 des Principes, cité peu après, il est question des causes finales, dont Descartes rejette la recherche, mais sans exclure toute finalité. M. Gilson. Au fond, je crois que Descartes préfère simplement présenter sa pensée sous cet aspect, s’il disait vraiment ce qu’il pense. M. Lévy-Brûhl. Mais comment pouvons-nous savoir ce qu’il pense, sinon par ce qu’il dit? M. Gilson. Oui, j’entends bien qu’il fait la distinction; mais mon avis, c’est t que sa véritable pensée est que Dieu ne poursuit pas de causes finales; et je me range à cet avis sous l’influence de Gibieuf, qui nie absolument, lui, théologien catholique, l’existence de causes finales. M. Lévy-Brûhl. Nous reviendrons làdessus. Tout ce je voulais faire remarquer, c’est qu’il faut une grande attention à respecter scrupuleusement les textes. Je relève en passant des exagérations d’expression. Vous dites (p. 273) que Descartes pensait ne s’être jamais trompé. M. Gilson. Parfaitement c’est l’opinion de Descartes qu’en métaphysique on peut arriver à des conclusions plus évidentes qu’en mathématiques même. Voyez d’ailleurs sa violence et son âpreté dans la discussion. Après avoir discuté sur l’influence de Gibieuf et avoir conclu, d’accord avec M. Gilson, que l’on peut parler plutôt d’une rencontre que d’une influence, M. I.évy-Bruhl discute le fond même de la thèse et la distinction des deux Libertés. M. Lévy-Brûhl. J’élève des doutes sur votre méthode elle-même. L’idée d’étudier séparément chez Descartes la théorie de la liberté humaine et celle de la liberté divine peut-elle se soutenir? Le grand souci de Descartes a été de procéder suivant une certaine méthode, de ne proposer que des vérités enchaînées. 11 faut donc montrer comment la pensée de Descartes, sur le point particulier de la liberté, se déduit des principes généraux. Vous isolez trop les problèmes, et, d’un autre côté, vous attachez trop d’importance aux rapprochements avec les contemporains en sorte qu’on n’a pas l’impression, en vous lisant, que Descartes ait apporté quelque chose de nouveau. Cet élément nouveau n’est pas dans la matière vous l’avez démontré. C’est donc dans la méthode. Vous auriez pu parer à cette objection au début de votre étude en déclarant Je ne me flatte pas d’apporter une interprétation ». M. Lévy-liriihl. II n’a pas besoin de faire cette distinction, dès l’instant qu’il rejette l’anthropomorphisme. Je trouve vraiment qu’il est excessif de pousser à bout votre affirmation. Je vous ferai le même reproche au sujet de la note 2 de la page 9i>, où vous niez la possibilité des causes finales. M. Gilson. -Je reconnais qu’ici j’ai en effet dépassé le texte de Descartes. M. Lécy-Hruhl. Oui, et c’est d’autant