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– 21 – l’ouvrier reste attaché au travail, malgré l’organisation actuelle du salariat. C’est ce qu’on observe souvent dans les grèves vous voyez tous les jours, dans les grèves, les ouvriers, hantés par le travail, y revenir malgré tout. A l’atelier, on retrouve des compagnons. C’est sur ce sentiment que s’est greffée l’idéologie syndicaliste, qui suppose que de l’atelier se dégage un sentiment collectif. Il eùt fallu voir un peu mieux votre paradoxe. D’ailleurs, le mot de vie sociale » revient t assez souvent sous votre plume, sans être éclairé. Alors, pour vous, il n’y a de société que pour la consommation et le loisir? l’action ne donne pas lieu à la vie sociale1; M. Ilalbwachs. – Je tiens à dire que l’essentiel de ma thèse, ce sont les recherches de fait qui concernent les dépenses de la classe ouvrière. C’est l’explication de ces notions de détail que je trouve dans une notion hypothétique. Quant à savoir si j’étais édifié sur le caractère paradoxal de mes affirmations, qu’importe? On est souvent obligé, quand on fait de la science, de heurter les opinions reçues je n’ai pas à craindre de blesser des sentiments. M. Bougie. Mais ce sentiment repose sur des faits d’expérience commune. M. Ilalbwachs. – J’y viens. J’entends par relation sociale précisément ce qu’entend la sociologie actuelle (M. Bougie crie « non »). J’estime qu’il y a relation sociale lorsque l’idée d’un rapport surgit dans un groupe. J’ajoute rapport enlre hommes en lanl qu’hommes. Dans l’atelier, l’ouvrier manifeste des aptitudes physiques. 1I se transforme en force, et tout ce qui est humain en lui disparait. Le travail oblige l’ouvrier à se mécaniser. Entre les ouvriers, il n’y a que des rapports mécaniques. Leur ensemble d’idées est mécanique. Le tisseur pense à la fragilité des tissus, etc. Ce ne sont point là des idées humaines. M. Bouglé. Votre réponse est intéressante. M. Halbirachs. Quant à la joie du travail, je ne la méconnais pas. Je n’ai pas dit que cette existence fut malheureuse. On peut s’habituer à sortir de la société. La cordialité, je ne la méconnais pas. Les ouvriers qui chantent manifestent un besoin de sociabilité, quelquefois vulgaire. Mais remarquez que c’est dans les intervalles du travail. M. Bougie. Je conteste seulement que la notion d’isolement soit centrale. Au reste, il y a, dans votre travail, deux méthodes différentes induclive, déductive. Vous déduisez, d’un certain nombre de conscience d’être des ouvriers en général. M. llvuglé. Vous opposez le paysan à l’ouvrier. Mais vous passez trop rapidement. Votre documentation est insuffisante. Cela vous amène à des conclusions paradoxales p. 26, pour définir la véritable attitude des paysans vis-à-vis de leurs propriétaires, vous considérez le cas <• privilégié » des équipiersde passage. Mais qui sait si ce cas n’est pas encore « exceptionnel » ï 11 n’est venu à l’idée de personne jusqu’ici de considérer ce cas comme « privilégié ». M. Halbirachs. Je prends ces cas, à titre d’exemple de ce qui se passerait s’il y avait une conscience collective chez les paysans. Mais ils sont exceptionnels. M. Bougie. Pp. 54, 55, vous parlez de la prévoyance des paysans. Avez-vous habité le Midi? Si oui, vous n’auriez pas du dire que le paysan est porté à l’économie parce que la productivité du sol est la même en moyenne. M. Halbwachs. – II ne s’agit pas de vastes étendues. Je décompose les régions. M. Bougie. – A Béziers, je vous assure qu’on ne voit point régner prévoyance, économie, etc. Ici intervient, d’ailleurs, un phénomène, la commercialisation de l’agriculture, qui peut changer les mœurs paysannes. il. llalbwaclis. – J’y ai insisté. M. Bougie. Alors? 1 M. Halbwachs. Je rapporte une opinion courante, sans l’admettre nécessairement. Je pratique des sondages, sans apporter une définition de la classe paysanne, Mais, sur la question de l’habitation paysanne, je crois avoir utilisé les documents. M. Bougie. Non. Mais vous avez raison de dire que c’est un petit côté de votre thèse. La question centrale, selon vous, c’est que l’ouvrier est isolé, tiré hors de la société comme un poisson hors de son eau natale. C’est ainsi que vous expliquez le peu d’importance attribué au logis, à la vie familiale. Il n’est plus familial parce qu’il n’est plus social, et il n’est plus social parce qu’it n’est plus producteur. C’est un énorme paradoxe, et vous n’avez pas eu l’air de vous en douter; vous avez le paradoxe ingénu. La vie de l’ouvrier serait une vie d’isolement. Oui, dans le tissage; mais les travaux par équipes? Dans ces travaux-là, les ouvriers font attention au mouvement des camarades, comme à la matière; c’est de la vie sociale, bel et bien, où l’on se donne même le luxe de porter des jugements de valeur sur les camarades. Cette vie sociale dans le travail fait que