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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE


SUPPLÉMENT
Ce supplément ne doit pas être détaché pour la reliure.
(No DE MAI 1908)



NÉCROLOGIE

Eduard Zeller.

Eduard Zeller s’est éteint à Stuttgart, dans sa 94e année. Il était né en 1814. D’origine et d’éducation, il était théologien, il enseigna d’abord la théologie à Tübingen comme privatdocent (1840), puis à Berne (1847) comme professeur ordinaire. Ses idées libérales, son admiration pour Hegel, son amitié pour David Friedrich Strauss (dont il devait publier, de 1876 à 1878, les œuvres complètes) suscitèrent contre lui des attaques violentes parmi les théologiens orthodoxes. En 1849 il dut quitter Berne pour Marburg, où il enseigna d’abord également la théologie. L’hostilité de ses collègues à la faculté de Théologie le força d’abandonner l’enseignement de la théologie pour celui de la philosophie. En 1862, il fut appelé à Heidelberg, en 1872 à Berlin, comme professeur de philosophie. Il enseigna avec éclat jusqu’au moment où la fatigue de l’âge l’obligea à prendre sa retraite. Il se retira à Stuttgart.

Les ouvrages de E. Zeller sont très nombreux. La partie dogmatique de son œuvre est presque aussi considérable que la partie historique. Quelques-uns de ses travaux philosophiques ont été réunis dans les trois volumes de Vorträge und Abhandlungen publiés de 1865 à 1884. La doctrine de Zeller peut être appelée un hégélianisme raisonnable. Il convient, d’après lui, de reprendre d’abord le problème de la connaissance là où Kant l’avait abandonné. Kant proclame l’impossibilité de connaître la chose en soi ; par suite sa philosophie semble justifier toutes les intempérances du subjectivisme et du scepticisme. Or, nous avons, non seulement la possibilité, mais le devoir moral de dépasser le point de vue kantien. En effet la pensée apparaît comme ayant seule dans l’univers une valeur absolue, supérieure à la réalité sensible, et même indépendante et créatrice. La destination de l’homme est définie par la pensée.

Ces idées permettent de passer du subjectivisme à un réalisme idéaliste. Ayant reconnu la suprématie de la pensée, nous sommes en droit de proclamer l’existence réelle de choses en soi, et d’affirmer aussi l’accord absolu des lois du réel avec les lois de la pensée. Au point de vue religieux, Zeller, dans un opuscule célèbre sur l’origine et la nature de la religion (1884), refuse de se contenter de la religion morale qui résulte du Kantisme. La religion intéresse non seulement l’activité pratique, mais l’activité spéculative. Elle met en jeu toutes les facultés humaines, elle a pour objet le bonheur entendu dans le sens le plus large et elle exige l’intelligibilité d’une nature adaptée à l’activité humaine tout entière. Mais Zeller est surtout illustre comme historien. Les Platonische Studien de 1839, la monumentale Philosophie des Grecs (dont la 5e édition est en cours de publication), dont la 1re édition a paru de 1844 à 1852, d’innombrables monographies, des études critiques sur tous les domaines de la philosophie grecque, une excellente histoire de la philosophie allemande depuis Leibniz (1872), le travail sur Frédéric II comme philosophe (1886), ont consacré universellement la réputation de Zeller. La Philosophie des Grecs est, depuis son apparition, un livre classique. Zeller a uni la méthode hégélienne à la plus scrupuleuse érudition historique. D’après lui, toute philosophie se développe véritablement et il est possible, à travers les doctrines des différents philosophes de la Grèce, de découvrir la continuité d’une pensée unique. Chaque système fait naître des contradictions que les systèmes