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travail de M. Pichler, où un grand nombre de vues profondes et d’argumentations pressantes se trouvent exposées avec une singulière économie de paroles ; mais il nous faut au moins signaler, en dehors de la valeur intrinsèque de sa démonstration, les suggestions intéressantes que l’on peut tirer de son livre pour l’intelligence de la logique leibnizienne et kantienne.

Leben und Erkenntnis. Betrachtungen zwischen den Zeilen, par Ernest Vowinckel, 1 vol. in-16 de 179 p., Berlin, Leonhard Simon, 1912. — Il y aurait peut-être quelque pédantisme et sans doute beaucoup d’injustice à appliquer à un recueil d’essais, à des « remarques entre les lignes » les mêmes procédés de critique qu’à un ouvrage de philosophie proprement dite : et l’on laisserait sûrement échapper ce qui constitue le mérite de ce petit livre, la franchise, la simplicité, et la finesse. Dans le premier essai, intitulé les Livres, l’auteur prend texte de la fameuse conférence de John Ruskin Of King’s Treasuries pour nous montrer qu’il y a dans les livres autant et plus de vie que dans la vie, puisque les livres renferment ce qui dans la vie a de la valeur, de la durée, et mérite de ne pas s’évanouir dans le temps ; pour nous faire comprendre que la lecture est une conquête et qu’elle n’enrichit que les riches, il distingue plusieurs types de lectures et de lecteurs et esquisse une psychologie de la lecture. — Le deuxième essai porte pour titre Nature et Loi, et constitue une tentative intéressante de psychologie esthétique : la loi, c’est ce que l’artiste trouve dès l’abord devant lui, ce qui plus ou moins s’impose à lui habitudes d’esprit invincibles, croyances morales enracinées, procédés techniques reçus ; la nature, c’est ce que l’artiste crée de toutes pièces, ce qu’il apporte de nouveau dans le monde, ce qu’il découvre et ce qu’il révèle d’humanité jusqu’à lui inconnue. La valeur d’un acte est d’autant plus grande que l’humanité s’y révèle ou peut s’y révéler, plus largement : le premier des arts est donc la poésie épique, qui dispose de toute la vie des hommes, de toute la nature extérieure, qui n’est pas liée à des sentiments momentanés comme la poésie lyrique, ni soumise au jeu des heures, comme le drame, ni attachée à l’image morte et figée, comme les arts plastiques, ni esclave du nombre comme la musique. — Dans le troisième essai, Solitude, l’auteur montre que c’est dans l’âme de penseurs isolés que l’humanité se révèle. Le penseur n’obéit pas aux choses, il se crée et se façonne son existence, il est le poète de sa vie ; chaque instant qu’apporte le hasard lui apparaît plein de signification ; il ne connaît point cet ascétisme bas déterminé chez le vulgaire par la crainte des choses ; c’est seulement en tant qu’il devient ainsi législateur que le philosophe peut subir à la fois et surmonter l’histoire et conduire en soi l’humanité vers l’infini. Et c’est seulement leur isolement qui permet aux véritables penseurs de serrer de près l’être véritable des choses. L’auteur examine alors, à propos du cas privilégié de Frédéric Nietzsche, ce qu’il appelle « la psychologie, le style et la métaphysique du solitaire » ; il note avec finesse les étapes, les degrés et les effets de la solitude intellectuelle. Après la période de l’enfance, où l’être se livre tout entier aux impressions et s’abandonne passivement aux actions du dehors, peu à peu l’âme solitaire se dégage de son être social, sans pourtant rompre tout lien avec la tradition, car le plus souvent elle trouve dans l’histoire une personnalité qui lui sert de modèle et qui aide sa propre personnalité à se former : c’est Descartes pour Spinosa, Kant pour Schopenhauer, Gœthe et Fichte pour Carlyle, Schopenhauer et Wagner pour Nietzsche. Mais la vie propre du penseur ne commence que le jour où par un acte d’affranchissement ce dernier lien avec la tradition, l’histoire et le monde extérieur est rompu : dans le cas de Nietzsche le drame de la solitude commence avec l’anathème lancé contre Wagner. L’être ainsi lancé, au prix de souffrances morales immenses, hors des voies communes, cherche et arrive parfois à réaliser en lui-même un équilibre capable de le satisfaire : la croyance en lui-même et l’orgueil prennent le dessus, accompagnés le plus souvent de la conviction qu’un monde indigne d’eux ne peut que méconnaître les grands hommes. En même temps que la pensée devient plus profonde, elle devient plus étroite, plus unilatérale : le sens de la communauté de travail avec les autres penseurs et avec la société se perd ; le penseur attaché à l’originalité de sa pensée lui fait éviter le commerce avec les hommes et la lecture des livres, il ne feuillette plus que ses souvenirs. Et c’est là au fond la raison du rapport souvent constaté entre le génie et la folie ; l’isolement, l’idiotie au sens propre du mot, en constituent l’élément commun ; le grand homme est une monade sans fenêtres. — Enfin dans le quatrième essai, Mystique terrestre et divine, l’auteur, inspiré par la belle ode de George Meredith to The Spirit of the Earth in Autumn, essaie de faire sentir bien plutôt que de définir l’essence