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Et c’est ce qui expliquerait peut-être le caractère métasocial de la pensée rationnelle, qui ne doit pas plus à la société qu’elle ne doit à l’individu seul l’idéalité de ses objets.

Une double impression, en résumé, se dégage de ce beau livre. Autant l’explication sociologique des phénomènes religieux vient à propos combler les lacunes des hypothèses animistes ou naturistes, autant l’extension de cette explication à la théorie psychologique de la connaissance semble difficile à admettre. Sur le premier point, les conclusions de M. Durkheim seront sans doute généralement bien accueillies. Sur le second, elles appelleront d’expresses réserves.

La Philosophie de M. Henri Bergson, par René Gillouin, 1 vol. in-12 de 187 p. Paris, Grasset, 1912. — L’exposé de M. Gillouin est, si nous ne nous trompons, la première en date des publications qui ont eu pour objet, au cours de ces derniers mois, de donner au public les connaissances nécessaires pour aborder avec fruit la connaissance du bergsonisme. L’auteur ne cache pas son enthousiasme pour l’œuvre de M. Bergson : « il a ouvert a la métaphysique des voies nouvelles, en lui assignant pour objet la Vie et non plus l’Esprit et la matière, et pour fin, non plus de construire son objet, mais de s’insérer en lui. Bien plus, il a crée quasi de toutes pièces l’ensemble des méthodes et des concepts appropriés a l’accomplissement de cette tâche. » Donner à des lecteurs non initiés (la majeure partie du livre est la reproduction d’articles parus dans la Revue de Paris) une idée de ces méthodes et de ces concepts n’était pas chose très facile : M. Gillouin a surtout insisté sur l’antithèse entre les descriptions concrètes et vivantes de M. Bergson, et les abstractions qu’il attribue a l’intellectualisme et dont il exagère quelque peu l’inintelligence. À noter certaines remarques sur l’attitude esthétique et naturaliste de M. Bergson, que M. Gillouin estime correspondre plus exactement à l’expérience de l’artiste et du penseur qu’à celle du mystique ; il semble disposé à insister pour sa part sur le tragique du péché, sur la volonté de pureté qui doit accompagner et dominer la volonté des puissances plus que du moins jusqu’ici M. Bergson ne parait l’avoir fait.

Le Bergsonisme ou une Philosophie de la Mobilité, par Julien Benda, 1 vol. in-12, de 134 p., Mercure de France, 1912. — Le livre de M. Benda est divisé en trois parties : dans la première il étudie le but de la philosophie bergsonienne, dans la seconde sa méthode, dans la troisième ses résultats. Son but, c’est de connaître la mobilité qui est la seule réalité, et que la science ne saurait atteindre ; sa méthode, c’est l’intuition ; ses résultats, c’est la perception du moi dans sa mobilité, dans sa durée et sa liberté, et aussi la découverte de la signification de l’évolution. Envisageons successivement ces différents points. M. Bergson nie que l’intelligence puisse connaître la mobilité ; mais ou bien il veut dire par là que l’intelligence ne possède pas la catégorie de mobilité, ce qui est faux ; ou bien il sera amené à soutenir qu’elle ne comprend pas plus l’immobilité que la mobilité, ce qui enlève toute portée à la thèse. D’ailleurs, dans l’idée de mobilité, M. Bergson confond deux idées ; celles de continuité et celle de force, celle de changement infiniment petit et celle de poussée et d’effort.

Il s’agit de connaître, non pas simplement de sentir, mais de connaitre cette mobilité ; nous la connaîtrons par l’intuition. Mais on trouve, d’après M. Benda, plusieurs choses différentes désignées par ce même mot dans les livres de M. Bergson. Et nous ne pourrions dire quelle est la vraie intuition si M. Bergson ne nous donnait pas de critérium pour la reconnaître : l’intuition annoncée est d’une tout autre nature que l’intelligence, et sa nature est telle qu’elle connaît spécialement le mouvant. Nous pourrons nous assurer ainsi que la vraie intuition n’est pas cette sympathie intellectuelle par laquelle, nous plaçant à l’intérieur d’un objet, nous atteignons l’absolu, ni l’invention intellectuelle, ni la faculté de trouver un sens aux choses, mais qu’elle est l’instinct, en tant qu’il n’est pas connaissance, en tant qu’il est vie. Mais comment l’intuition peut-elle être à la fois la vie et la connaissance de la vie ? Au fond de cette conception de l’intuition, M. Benda trouve les deux croyances suivantes : 1° la croyance que la connaissance est chose capable de solidité, de fluidité, de mobilité, ces mots étant pris dans leur sens propre ; 2° la croyance que la connaissance peut être commensurable avec son objet, que l’intuition est commensurable avec la vie, que l’intelligence est commensurable avec les mouvements physiques.

Les résultats de la méthode, c’est avant tout la perception du moi et de sa mobilité. Dans la théorie du moi, on retrouve d’abord la confusion déjà signalée entre la continuité et la force ; puis l’affirmation que la perception du moi-force est rare, ce qui semble discutable à