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et la décadence de l’idéalisme, qui commencent à la mort de Hegel, donnent naissance au naturalisme et au positivisme où semblent s’évanouir ses plus géniales intuitions ; et pourtant dans leur langage enfantin et confus ils expriment l’exigence nouvelle posée par l’hégélianisme, à savoir la négation du transcendant, l’immanentisme absolu ; mais ils ne valent que par les nouveaux problèmes qu’ils apportent, non par leurs solutions : car le naturalisme, en essayant de découvrir la genèse biologique de la pensée, retourne à la période précartésienne de l’histoire, à la doctrine de l’influx physique ; et le positivisme, en se réclamant du fait comme d’une réalité absolue, retombe dans la transcendance, et finit par l’agnosticisme, qui est l’impuissance et la stérilité même. Seule est vivante la tendance immanentiste qui inspire tous les penseurs de la seconde moitié du xixe siècle, ce qu’on peut appeler leur « esprit positif » ; c’est d’ailleurs la plus pauvre forme d’immanentisme, celle des sens, de la conscience immédiate ; cette philosophie intuitionniste et empiriste est incapable de comprendre la valeur de l’histoire : « la conscience de l’historicité du réel est en contradiction ouverte avec une conception immédiate de la vie » (p. 450). — Au sein de la philosophie empiriste naît la critique des sciences qui tend à dissoudre ou à assouplir les concepts que le naturalisme avait solidifiés au point d’en faire une matière opaque pour la pensée : la critique des sciences a restauré dans ce champ l’action immanente de l’esprit, et elle a ébranlé cette conception rigidement mécaniste du monde qui n’était pas seulement celle du positivisme, mais aussi celle du kantisme, cette conception intellectualiste d’une réalité constituée ab æterno dans les lois immobiles de la nature ; le vrai centre de la réalité naturelle, pense M. de Ruggiero, n’est pas la loi, mais la pensée humaine qui dans son développement pose et nie la loi. — Et la culture kantienne en même temps se renouvelle, le kantisme se révèle nouveau : des penseurs comme Lachelier, Weber, Royce, Baillie cherchent dans l’actualité absolue de la recherche scientifique l’unité du sujet et de l’objet ; on essaie d’échapper à une double abstraction, « celle du pur empirisme pour qui la science est un problème sans solution et celle du naturalisme pour lequel la science est une solution sans problème » ; « l’activité mentale est conçue comme un éternel problème qui est une éternelle solution et une éternelle solution qui est un éternel problème ». Au reste ce mouvement a moins sa source dans Kant que dans Hegel ; « c’est Hegel, le proscrit, qui est au poste d’honneur dans la jeune philosophie ; en France, en Angleterre, en Italie, la culture néo-hegélienne représente l’exposant le plus élevé de la culture nationale » (p. 452). L’actualité du problème hégélien, c’est l’immanence, la négation de tout dualisme, la vision concrète du réel ; la culture contemporaine exige un immanentisme absolu, qui crée la chose en soi, qui se garde de faire anticiper la pensée sur le monde et le monde sur la pensée, qui évite et l’idéologie et le naturalisme, qui, au lieu de nier dans les solutions la nécessité des problèmes, voit dans les solutions le germe de nouveaux problèmes, et dans la marche des unes aux autres un progrès spirituel. Ce Hegel est bien loin du Hegel des vieux hégéliens, qui avait dit le dernier mot de la philosophie ; c’est l’idéaliste qui a remis en honneur l’histoire, qui a découvert la continuité humaine, qui a montré qu’en possédant notre passé nous tendons à nous posséder nous-mêmes. Seule une forte culture historique peut donner une orientation décisive à notre vie et à notre pensée ; la liberté avec laquelle nous voulons notre progrès spirituel est la même qui fait vivre en nous le passé et détermine la continuité spirituelle de la vie historique. Ainsi, du sein même de la culture hégélienne, qui avait pu paraître un temps la plus éloignée de la vie, jaillit la tendance de la philosophie à retourner à la vie et à s’identifier avec elle : la notion de l’actualité absolue de la pensée, notion en laquelle se résume cette métaphysique nouvelle, est au fond l’expression purifiée de toute transcendance et de toute abstraction, l’expression même du caractère intime et concret de la vie.

Les vues propres de M. de Ruggiero ne pouvaient être qu’indiquées dans ce livre ; et ses jugements historiques, parfois contestables, le plus souvent très heureux dans le fond et dans la forme, ne pouvaient naturellement être défendus et motivés d’une manière parfaite dans un ouvrage où tant de doctrines et d’idées sont exposées et critiquées. Nous pensons que l’auteur n’a pas encore donné, dans ce livre, toute sa mesure : mais après l’avoir lu on ne saurait douter qu’il soit un historien, et qu’il soit un philosophe.

L’Esiglio di Sant’Agostino. Note sulle contraddizioni di un sistema di filosofia per decreto, par L. M. Billia, 2e éd. revue et augmentée, 1 vol. in-8 de xv-