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perceptions d’un homme normal. Pearson formule à ce propos les canons de l’inférence légitime. En somme, la science poursuit la même fin que l’ « association instructive » ; elle nous arme pour une action mieux adaptée, en utilisant les conceptions de nos impressions passées pour répondre mieux aux impressions présentes. Si elle ne recherche pas, au delà des données de notre conscience, une « chose en soi » ce n’est point là signe d’infériorité. Car une telle réalité ne serait pas connaissable ; bien plus, nous n’avons aucune raison solide d’en affirmer l’existence (c. 2).

Qu’est-ce, à présent, que la loi scientifique ? Une formule condensant un ensemble de faits, « une description brève en sténographie mentale d’un ensemble aussi vaste que possible de la suite de nos impressions sensibles » (p. 142). C’est un produit de l’intelligence humaine, qui n’a aucune signification en dehors de cette intelligence. Pour éclaircir cette idée, M. Pearson distingue longuement la loi scientifique non seulement de la loi civile, qui prescrit tandis que celle-là décrit, mais même de la loi naturelle, entendue en un certain sens. Par ce terme, en effet, on peut désigner simplement l’enchaînement habituel, la « routine » de nos impressions sensibles. La loi scientifique est plus que cela : la formule, l’expression mentale de cette routine. Elle peut d’ailleurs concerner les relations qui existent non seulement entre nos perceptions, mais aussi entre nos concepts, et ces relations peuvent même échapper à toute vérification sensible ; dans ce cas, il faut simplement que la loi nous fournisse un moyen commode de classer ou de décrire nos impressions sensibles. Le « suprasensible » du savant ne se confond donc point avec le supra-sensible du métaphysicien, car il reste toujours relatif aux facultés humaines. Jamais la loi scientifique n’a pour objet d’expliquer nos perceptions. Il s’agit seulement de les formuler, et le progrès scientifique consiste à découvrir des formules de plus en plus compréhensives et concises (exemple : passage du système de Ptolémée à la loi de Newton). Se demandera-t-on d’où vient que la routine de nos perceptions puisse être exprimée en formules mentales ? C’est peut-être que cette routine elle-même tient à la nature de notre faculté perceptive, qui s’est développée en rapport avec notre faculté rationnelle. En tous cas, on doit se garder d’invoquer la présence d’une raison inhérente au monde, et qui serait distincte de la raison humaine. Celle-ci suffit à nous rendre compte de la science (c. 3).

De ce point de vue M. Pearson procède à l’analyse d’un certain nombre de concepts scientifiques, et d’abord du concept de causalité. La science ne cherche pas les causes si l’on introduit dans cette expression l’idée d’une création absolue ou même celle d’une nécessité. M. Pearson se rallie à la définition de Mill : la cause scientifique n’est rien de plus qu’un antécédent invariable — une certaine phase dans la suite de nos perceptions. En effet, nous ne subissons jamais de cause première dans notre expérience : la volonté même n’en est pas une si l’on y regarde de près. Et d’autre part, la nécessité n’existe que dans le monde de nos conceptions, non dans le monde de nos perceptions : ainsi la théorie planétaire offre une parfaite rigueur à titre de pure théorie, mais rien ne contraint les planètes réelles à lui obéir. Il n’est même pas nécessaire que nos perceptions se répètent dans le même ordre ; seulement, c’est une condition faute de laquelle nous ne pourrions exercer notre pensée. D’ailleurs, notre croyance, sur ce point est solidement fondée. Quand une certaine suite de perceptions s’est constamment produite dans le passé, pourquoi croyons-nous que cette même succession se reproduira dans l’avenir ? Ce n’est pas seulement en vertu de la répétition de cette série ; c’est aussi parce que d’une façon générale les suites de perception se sont toujours reproduites dans le même ordre, Ces deux facteurs créent une probabilité extrêmement haute, comme M. Pearson s’efforce de l’établir mathématiquement à la suite de Laplace (c. 4).

Dans la troisième édition, M. Pearson a soumis la notion de causalité à une critique plus serrée. Cette notion ne s’applique pas rigoureusement à notre expérience. Car plusieurs perceptions ne sont jamais absolument identiques ; partout l’on trouve individualité et changement ; il ne peut donc être question que d’une ressemblance toute relative, et la notion de causalité est une limite conceptuelle. D’ailleurs il y a intérêt à remplacer cette notion par la catégorie plus vaste d’association. Dans quelle mesure tel groupe de choses semblables se trouve-t-il lié à tel groupe d’autres choses semblables ? Telle est la question que se pose en réalité le savant. M. Pearson nous décrit longuement les procédés grâce auxquels il arrive à symboliser les différents degrés de liaison qui peuvent exister entre deux espèces de phénomènes, depuis la contingence ou indépendance radicale jusqu’à la dépendance absolue ou corrélation. Il montre comment s’introduit ainsi le con-