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part, chez les stoïciens, il y a des allégories morales. Létho représente l’oubli, et Hermès la parole révélatrice, Mars, ce qui lutte dans la conscience, les Charites, la reconnaissance, etc. Vous me paraissez donc beaucoup exagérer, lorsque vous dites, p. 48, qu’il ne nous est resté, dans toute la littérature antéphilonienne, pas un seul passage conforme à la méthode de Philon.

M. Bréhier. Philon emploie une autre allégorie que l’allégorie physique et en fait un emploi original. Je n’ai pas nié qu’il y eût des allégories morales avant Philon. La phrase incriminée n’a pas la portée que vous lui donnez ; elle fait partie d’un paragraphe où Philon est opposé seulement à l’école juive d’Alexandrie.

M. Rodier. Où trouvez-vous l’influence de l’Égypte, dans la doctrine de la purification de l’âme ? Voilà un auteur, qui cite Platon à chaque page, se dit platonicien, se défend de se mettre en opposition avec Platon ; voilà Platon qui dit qu’il n’y a rien de plus divin que l’âme du philosophe, qui s’élève à l’idée du bien. Et vous allez chercher une source égyptienne pour une idée éminemment platonicienne ! Je ne dis pas que des influences égyptiennes ne soient pas exercées. Mais, quand on a une source si prochaine, est-il besoin d’aller chercher ailleurs ?

M. Bréhier. L’essentiel du philonisme est la théorie du culte des intermédiaires, et je n’ai pu la voir dans Platon.

M. Rodier. Vous ne connaissez pas la dialectique ascendante ?

M. Bréhier. Il y autre chose ici. Il n’y a pas de passage à travers une série de cultes chez Platon ; ces cultes ont une existence positive chez Philon.

M. Rodier. Je ne vois pas la différence de ces ascensions.

M. Bréhier. Le terme de mouvement est le même. Mais le culte des intermédiaires ne se trouve pas dans Platon, et c’est, je pense, une différence. Il y a seulement influence du platonisme dans la façon dont la série hiérarchisée des cultes est exposée.

M. Rodier. L’intention pieuse n’est pas propre à Philon. Les Grecs disent qu’il faut accomplir les cérémonies avec une intention pieuse ; on trouve ceci par exemple dans Apollonius. Je trouve donc, en résumé, que vous avez trop diminué la part des influences grecques dans l’œuvre de Philon.

M. Séailles. Le défaut de votre livre, à












mon avis, c’est de manquer de parti pris. D’abord, vous cherchez pour chaque idée de Philon un antécédent dans la philosophie grecque. Et puis, à mesure qu’on M. Bréhier. Le terme du mouvement est M. Radier. L’intention pieuse n’est pas M. Séailles. Le défaut de votre livre, à avance dans la lecture, apparaît une autre idée, surtout dans la seconde partie vous montrez qu’il y a quelque chose de nouveau dans la conception des rapports de l’âme avec Dieu, chez Philon, une certaine expérience religieuse, une nouvelle forme d’émotion. Vous arrivez à des idées qui ont une bien autre importance que chez n’importe quel stoïcien le sentiment du péché, l’idée de la sanctification. Jusqu’ici, on vous a reproché de n’être pas assez grec ; eh bien, moi, je vous reprocherai le contraire. Je pense que ce qu’il y a d’original chez Philon c’est le juif. Je pense que Philon a vécu dans le commerce des prophètes et du psalmiste, et j’y trouve l’origine de ces sentiments de dévotion et de recueillement, et je comprends alors comment Philon a pu être adopté par les mystiques chrétiens. Je conçois à ce point de vue une vue synthétique de Philon, de Philon le juif, -et je crains que vos qualités de synthèse n’aient pas été à la hauteur de votre talent d’analyste. La science grecque, en effet, lui donne son.langage, ses concepts, ce qu’il y a en lui d’intellectuel ; mais Philon reste un juif pieux. Et c’est pour cela qu’il pénètre d’un sentiment de piété orientale les formules helléniques. Je vous reproche donc d’avoir oublié que Philon était juif. M. Brehier. Je pense avoir montré ce .qu’il y avait de juif chez Philon par mon premier livre. J’ai montré comment il interprétait la loi juive d’une façon stoïcienne. Quand il s’agit du culte spirituel, il y a d’abord les doctrines grecques qui servent d’expression à des interprétations que je trouve chez Philon et ailleurs. Ce qu’il y a de juif chez Philon, c’est le caractère pratique de son mysticisme. Le mysticisme lui-même, – la théorie de la transmutation de l’àme en Dieu, ne peut être juif. C’est encore parce qu’il est juif qu’il admet l’interprétation latérale, etc. M. Séailles. Vous interprétez le judaïsme d’une certaine façon, qui est peut-être un peu étroite. Le judaïsme, ce n’est pas seulement la loi, c’est aussi les psaumes et les prophètes. Et je crois que c’est là l’origine du christianisme. Voulezvous que nous parlions une seconde de Dieu ? Ce qui caractérise la pensée ’grecque, c’est que l’&tetpov est le mal, le néant. Chez Philon, le wépaç n’est plus ce qu’il y a de plus élevé ; et alors le Dieu de Philon n’est plus la pensée de la pensée, il est celui qui pourrait le bien et le mal et qui veut le bien. Dieu est infini et amour. Philon est le précurseur de la philosophie moderne de l’infini. C’est