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La seconde partie traite de l’évolution de la vie et des formes propres de l’énergie qui la caractérisent. L’auteur n’est pas un « systématique », à la manière de Le Dantec, et se garde de formuler une doctrine personnelle ; mais les remarques originales, judicieuses et profondes ne manquent pas sous sa plume. Ne pouvant tout citer, qu’il nous suffise d’en noter quelques-unes.

Dans l’abstraction, procédé général de l’investigation scientifique, le négligé, le non-retenu a au moins autant d’importance que ce qu’on retient. Une abstraction se caractérise « par ce qui lui échappe bien plus que par ce qu’elle saisit ». La science n’est pas qu’un langage ; elle est aussi pénétration du réel dans l’esprit. Sans doute, si l’on voulait s’en donner la peine, on pourrait, avec nos connaissances sur la nature, créer un langage tout à fait mathématique, pour lequel il suffirait de « soigner les définitions ». Mais cette langue parfaite ne s’établirait qu’au prix d’inexactitudes initiales. Souvent, en biologie, plus on est précis, moins on est exact. « La meilleure expression ne nous satisfait le plus qu’en nous trompant le mieux. » À l’opposé de l’idéal mathématique, il est permis d’envisager un idéal de synthèse concrète qui s’efforcerait de tenir compte de l’infinie complexité du donné.

La recherche des causes reste, pour le biologiste, le principe et la fin de la méthode. Mais on ferait fausse route en suivant ici la voie qui, d’analyse en analyse, conduit le physicien a l’atomisme. On aboutirait ainsi à une impasse. Le Weismannisme n’est qu’un verbiage informe. La recherche des causes, en biologie, ne signifie rien de plus que l’effort pour étendre le domaine connu du déterminisme physico-chimique. Elle ne porte que sur le réalisé, et elle écarte les divagations sur le possible. Cette méthode ne nous conduit nullement vers la contingence. Au contraire, le déterminisme se resserre à mesure que la connaissance exacte progresse. La vraie méthode consiste à remonter la voie de l’efficience, au lieu de toujours chercher à s’échapper vers la finalité, « qui est bien trop difficile et qui donne par surcroît de déplorables illusions de facilité ». Faut-il conclure que la finalité est un concept illusoire, à extirper définitivement des raisonnements scientifiques ? C’est la conclusion des meilleurs esprits ; elle est peut-être « un peu rude ». Il y a de la finalité, pourrait-on dire, dans l’évolution terrestre, parce qu’il apparaît de la pensée à la fin. Mais cette pensée, production dernière, qui apparaît comme un épiphénomène, n’est certainement pas la cause des phénomènes et de la force qui lui est bien antérieure. Le dynamisme de M. Houssay lui fait admettre « une pensée primordiale, qui échappe à l’espace et au temps, qui est la cause unique de la force et dont le dernier travail est un retour à elle-même » (p. 142).

Ce qui distingue l’organisme vivant, végétal ou animal, des machines artificielles, au point de vue de l’énergétique, c’est qu’il semble constituer un arrêt sur la pente fatale de la dégradation de l’énergie. La vie est une « réhabilitation d’énergie, transformant l’énergie chimique en énergie mécanique, sans chute de température interposée, et permettant même l’apparition d’énergies nouvelles, que le monde brut ignore, et qui sont manifestement des formes supérieures ». Du point de vue chimique, la vie est essentiellement construction de protoplasme. L’erreur commune est de considérer surtout l’animal adulte. Dans la période de développement, la seule qui compte, c’est bien l’assimilation fonctionnelle, suivant Le Dantec, qui définit la vie animale comme la vie végétale. Les considérations relatives aux formes et aux structures sont particulièrement intéressantes. Les beaux travaux de l’auteur sur les problèmes de morphologie dynamique donnent à ses idées, une valeur dépassant celle d’appréciations plus ou moins arbitraires. Le long travail de construction des organismes, dans lequel les dynamismes secondaires se déterminent et s’enchaînent, évoque l’idée de finalité interne avec une irrésistible puissance de suggestion. Pour le comprendre, il faut d’abord se défaire de l’image solide qu’on se fait ordinairement de l’animal.

L’être vivant est essentiellement liquide. Les tissus de soutien ne sont que des déchets, plus encombrants qu’utiles. C’est en fonction de la fluidité que s’explique le lent modelage des organismes, en partant du pseudopode de l’amibe.

En ce qui concerne l’apparition des énergies psychiques et l’évolution même de l’animal humain, M. Houssay ouvre de nouveaux et suggestifs aperçus. La légende de l’ancêtre prédateur et chasseur doit être abandonnée. Le dogme spencérien de la supériorité intellectuelle du carnivore prédateur a fait son temps. L’humanité descend d’arboricoles frugivores, et le régime frugivore est celui qui, toutes choses égales, tend le plus à développer les qualités de prévoyance et d’ingéniosité. Le régime alimentaire a été sans doute le premier fac-