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tianisme n’est pas fait, il est à faire ; il n’est pas à recevoir du dehors, mais à créer en nous et hors de nous. Mais, comme le rajeunissement qui s’impose du christianisme n’en affecte nullement la teneur essentielle, nous pouvons hardiment dire que nous pouvons encore être chrétiens (p. 208). Mais comment pouvons-nous encore être chrétiens ? Le christianisme est autre chose et plus que les Églises. Le catholicisme se refuse à toute adaptation ; il veut rester ce qu’il fut au moyen âge ; il confond la continuité avec l’immobilité ; il perd de plus en plus le caractère de catholicité ; l’Église se prend elle-même pour fin, et sa grandeur fait l’individu petit ; la rénovation chrétienne est impossible au sein du catholicisme où la vérité éternelle est enchaînée à une forme temporelle (p. 216). Le protestantisme en son principe n’est pas moins hostile à l’idée de progrès ; il est encore plus loin du monde, et nulle part il n’est arrivé comme le catholicisme à pénétrer et à transfigurer l’existence tout entière. Il est impossible, en restant dans les Églises existantes, d’opérer la rénovation que le temps présent exige, de régénérer le monde par l’énergie morale du christianisme. Aujourd’hui les Églises nuisent à la religion plus qu’elles ne la servent : témoins le mouvement naturaliste et le mouvement socialiste, et la tiédeur religieuse croissante. Doit-on, par respect pour les Églises, laisser périr la religion ou ne faut-il pas plutôt chercher des voies nouvelles pour sauver la vie spirituelle et la personnalité humaine ? Mais si la sincérité est le moteur nécessaire d’une telle renaissance, la séparation des Églises et de l’État en est la première condition : l’institution des Églises d’État est aujourd’hui mortelle à la vie religieuse.

Ainsi nous pouvons et nous devons être chrétiens. Mais il faut que le christianisme évolue, s’élargisse et se réveille de l’engourdissement ecclésiastique. C’est, conclut Eucken « le devoir présent et l’espérance de l’avenir ».

The Moral Life and Moral Worth, by W. R. Sorley. 1 vol. de 147 p. Cambridge, University Press,.1911. — La moralité, dit M. Sorley, est un esprit, une volonté intérieure qui se manifeste dans la vie et dans le caractère. C’est pour faire sentir cet esprit et non pour raconter l’histoire des règles, ou pour les décrire, que M. Sorley a publié ce petit livre clair et bien composé. Il analyse les différentes vertus, la tempérance, le courage, la sagesse, la justice, la bienveillance, en s’aidant des observations de Jane Austen, de Thackeray, de Charlotte Brontë, de Stevenson, aussi bien que des préceptes de Platon, de, Kant, de Butler, de Hill Green. Dans le chapitre sur la justice, il montre qu’il est impossible de la définir par les idées abstraites d’égalité et de liberté, et que l’élément permanent de l’idée de justice, c’est la reconnaissance de la personnalité de nos semblables. À la limite, la justice et la bienveillance s’identifient, et l’homme moral est dominé par « un esprit d’amour qui est à la fois une passion et un principe ». Ainsi se manifeste la vérité de cette idée sur laquelle M. Sorley insiste souvent : toutes les vertus tendent à élargir leur sphère d’application, à s’appliquer à des matières et à des êtres sans cesse plus nombreux, et par ce fait même elles s’unissent les unes aux autres.

Philosophy, by Nicholas Murray Butler, 1 vol. de 51 p., New-York, Columbia University Press, 1911. — M. Butler a voulu définir dans cette conférence la méthode et la matière de la philosophie. Il oppose la philosophie qui est l’étude du monde comme totalité au sens commun naïf qui est à proprement parler, dit-il, la commune ignorance, et pour lequel les choses sont séparées et sans lien et il l’oppose également à la science qui n’étudie que les relations. La science est souveraine « sur le plan où elle se meut » ; mais elle ne doit pas dépasser son domaine. M. Butler conseille aux étudiants de porter leur attention sur la philosophie présocratique et la philosophie médiévale où l’on voit l’intelligence s’éduquant et s’affinant et sur les grands systèmes, plutôt que sur les entreprises brillantes mais maladives et stériles de Nietzsche, de Hœckel, ou des pragmatistes. — La distinction radicale que l’auteur fait entre les trois modes de connaissance, sens commun, science, philosophie, est établie d’une façon intéressante ; mais ces trois modes ne participent-ils pas les uns aux autres ? — Il est curieux de lire cette profession de foi traditionnaliste qui vient d’une des universités où s’est le plus développé le pragmatisme, cette exhortation, qui rappelle les étudiants à la lecture de Platon, d’Aristote, de saint Thomas, de saint Augustin, de Kant, de Hegel ; mais les grands, problèmes qui ont agité ces philosophes, ne renaissent-ils pas sans cesse ? Ne peut-on pas les étudier également dans les œuvres de ̃Nietzsche, de James, de Bergson, de Bradley ou de Russell ?

The Philosophical Works of Descartes, rendered into English, by Elizabeth S. Haldane and G. R. T. Ross, in