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Spitzer. 1 vol. gr. in-8 de 150 p., Stuttgart et Berlin, Cotta, 1911. — Cette étude sur Jodl, œuvre de deux fervents admirateurs du grand penseur viennois, offre, exposées brièvement, et presque toujours dans le langage même du philosophe, les thèses essentielles de son système. Jodl est un positiviste. Parti de Hume, il reproche à celui-ci de s’éloigner trop des faits d’expérience. La philosophie, synthèse des sciences, est moins système que méthode. C’est avant tout un groupe d’habitudes de pensée critiques et défiantes de toute métaphysique. Le centre de la psychologie de Jodl est une très ingénieuse théorie de l’opposition du moi et du non-moi dans l’organisme psychologique (p. 6 et suiv.). Le monde n’est pas une gigantesque projection du moi, de l’esprit, mais une réalité ; la nature est autre chose qu’un conglomérat de phénomènes ; sans doute le monde dans sa totalité reste un problème infini pour la connaissance, non pas que rien en lui ne soit réalité, mais tout au contraire parce que sa riche et complexe réalité déborde de tous côtés notre pensée finie. L’homme dans sa dualité une (l’homme, c’est-à-dire non seulement moi, mais toi, et le rapport de moi à toi) est le véritable principe de la philosophie. À la vieille question « si la matière peut penser », on peut à volonté répondre oui ou non : car il est certain à la fois que la matière organisée pense et que la matière inorganisée ne pense pas : l’étude des rapports entre l’âme et le corps est une des parties où l’analyse, de Jodl est la plus pénétrante (p. 26-46). Il est impossible d’avoir connaissance de ce qui n’est pas donné dans l’expérience ; et on peut rendre compte, en prenant la nature de l’homme pour point de départ, des représentations que la théologie ramène à une intuition mystique : la religion s’explique anthropologiquement : sur ce point Jodl est le disciple de Feuerbach auquel il a consacré une belle monographie. L’essence de la religion est la négation de la réalité donnée : elle exprime les souhaits, les désirs non satisfaits du cœur humain. La religion, ce n’est pas Dieu fait homme, mais l’homme fait Dieu : l’histoire de l’humanité est une apothéose. La rédemption de l’humanité est et doit être l’œuvre de l’humanité elle-même. L’histoire manifeste un continuel accroissement de civilisation, une approximation toujours plus grande de l’idéal moral. — L’éthique de Jodl est empiriste, naturaliste, fondée sur les faits scientifiquement connaissables de la vie sociale et sur la psychologie : l’évaluation morale a sa source dans le sentiment, et le plaisir est inséparable de l’idée de bien. La norme morale apparaît à l’individu comme transcendante et soustraite à son caprice : mais il ne s’ensuit ni qu’elle soit immuable ni qu’elle soit d’origine supranaturelle : son origine sociale suffit à rendre compte de ses caractères, de son autorité et de ses variations. Nous regrettons de ne pouvoir résumer les importantes théories pédagogiques et esthétiques de Jodl ; mais il est impossible de ne pas rappeler la part qu’il a prise à l’Ethische Bewegung et la lutte qu’il mène aujourd’hui encore, avec une ardeur et un courage admirables, contre toutes les formes de l’intolérance politique et religieuse. Le meilleur éloge qu’on puisse faire de l’intéressante étude de Börner et de Spitzer est qu’après l’avoir lue on trouve qu’elle valait d’être écrite.

Führende Denker. Geschichtliche Einleitung in die Philosophie, par Jonds Cohn. 2e éd. revue. 1 vol. illustré de 106 p., Leipzig, Teubner, 1911. — L’auteur s’est proposé de faire entrer dans la philosophie, par l’histoire, des lecteurs novices : il a donné une image aussi vivante qu’il a pu de six grands penseurs, Socrate, Platon, Descartes, Spinosa, Kant et Fichte : aux grands constructeurs de systèmes, comme Aristote et Hegel, il a préféré, étant donné le but qu’il poursuivait, des hommes dont la gloire est d’avoir posé des questions nouvelles et d’avoir trouvé de grandes idées directrices inconnues jusqu’à eux. La méthode consiste non pas à juxtaposer, mais à unir intimement la biographie du philosophe à l’exposé sommaire de sa philosophie. Mais comme le but final, ce ne sont pas les philosophes, mais la philosophie, l’auteur ne s’interdit pas quelques critiques (voir par ex. p. 47-48 sur Descartes) destinées, semble-t-il, à mettre en relief la nécessité en même temps que la réalité du progrès philosophique (p. 53). Ainsi le spinosisme est exposé de manière à faire ressortir les difficultés où s’engage toute métaphysique, et le bon droit de la critique kantienne (p. 64-67). D’autre part le souci apparait constant de montrer l’enchaînement des manifestations historiques de la philosophie : et c’est ainsi qu’après avoir insisté sur l’union nécessaire et le rapport intime de la philosophie théorique et de la philosophie pratique de Kant, M. Cohn nous montre dans Fichte « la vivante incarnation de la morale kantienne. (p. 91). Dans ce petit livre, où se manifeste souvent un art véritable, l’auteur s’était proposé d’éveiller la conviction de la nécessité de