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Cet ouvrage, malgré sa brièveté relative, est très instructif. L’exposition très condensée est généralement claire. Elle repose sur une connaissance précise des textes qui ont été dépouillés avec beaucoup de soin. Cependant, on aurait tort de se fier entièrement à M. Jungmann comme à un guide précis et sûr. Son travail est systématique à l’excès, malgré les apparences qu’il se donne de suivre fidèlement les textes. D’abord, l’auteur reconstruit beaucoup trop la doctrine qu’il expose sur un plan qui ne paraît pas conforme au plan même de Descartes. C’est là un défaut grave pour l’étude d’une philosophie dans laquelle le principe de l’ordre joue un rôle si essentiel. M. Jungmann ne veut donner qu’une introduction aux œuvres de Descartes. Mais, après avoir insisté lui-même à juste titre sur l’importance, dans cette œuvre, de la partie scientifique, il se borne, en somme, à étudier en détail la théorie de la connaissance dans la philosophie de Descartes. Or, la théorie de la connaissance ne semble pas avoir dans le système cartésien la place prédominante que notre auteur lui attribue. Une partie de cette théorie parait même avoir été improvisée par Descartes pour répondre aux objections de ses adversaires. On retrouve aussi un peu trop chez M. Jungmann la méthode chère à MM. H. Cohen, Natorp et Cassirer et par laquelle toute philosophie, insensiblement, est ramenée à la doctrine de Kant. De plus il manque au travail de M. Jungmann une assise historique solide. L’œuvre de Descartes est moins isolée, moins nouvelle aussi par endroits, qu’il ne paraît au premier abord. Sans doute la question capitale des origines du cartésianisme n’est pas étudiée encore. Mais M. Jungmann semble bien ignorer toute la scolastique et ce qu’il dit des rapports de Viète et de Descartes prouve qu’il ne connaît pas davantage l’histoire des mathématiques. Ce sont là de mauvaises conditions pour aborder un aussi redoutable sujet. Dans le détail beaucoup des assertions de M. Jungmann ne peuvent être acceptées qu’avec réserve. Par exemple, après avoir rejeté avec raison l’interprétation passablement confuse que M. Liard donne de la mathématique universelle, M. Jungmann conclut que cette mathématique est en réalité, une science de la pensée pure, logique et métaphysique (p. 34). Mais c’est évidemment une vue beaucoup trop générale et trop vague. Il eût fallu un examen détaillé de la Géométrie, que M. Jungmann s’est dispensé de faire.

Enfin, la rédaction paraît avoir été un peu hâtive. Il y a dans ce livre trop de références fausses et aussi un nombre vraiment excessif de fautes d’impression.

Malgré ces défauts graves, le livre de M. Jungmann est encore, tout compte fait, le meilleur travail d’ensemble que nous possédions jusqu’à présent sur Descartes.

First and Last Things, A Confession of Faith and Rule of Life, by H. G. Wells, 1 vol. in-18 de xii-246 p., London, A. Constable, 1908. — Human Nature in Politics, by Graham Wallas, 1 vol. in-18 de xvi-302 p., London, A. Constable, 1908. — Justice and Liberty, a political dialogue, by G. Lowes Dickinson, 1 vol. in-18 de vi-228 p., London, J. M. Dent and Companys, 1908. — Nous avons lu l’un après l’autre ces trois volumes, mis en vente à peu de jours d’intervalle. Il nous a paru y reconnaître la trace des mêmes inquiétudes, des mêmes aspirations ; tous les trois, malgré bien des divergences, représentent un même moment dans l’histoire de la pensée anglaise.

M. H. G. Wells, inépuisablement fécond, a publié, dans l’année 1908, quatre ouvrages. Deux romans sociaux ; The War in the Air, et Tono-Bungay. Deux livres de spéculation sociale et philosophique. Dans New Worlas for ola, paru au printemps, il continuait l’œuvre de propagande réformatrice commencée dans ses Anticipations, dans son Mankind in the Making, dans son Modern Usopia. Les First and Last Things sont quelque chose de plus : un effort tenté par M. H. G. Wells pour définir aussi sincèrement que possible, et sans en méconnaître les obscurités et les lacunes, l’ensemble de ses croyances spéculatives, les principes de sa philosophie première et de sa philosophie morale. Qu’est-ce donc que cette philosophie ? Un pragmatisme : la biologie, pour M. H. G. Wells, comme pour M. Bergson, comme pour M. Baldwin, est le type de la science vraie, parce qu’elle est la science du réel et de l’individuel, dont les sciences dites exactes ne sont que les approximations inexactes. Un optimisme : croyance au progrès indéfini, auquel l’individu a le pouvoir et le devoir de coopérer, croyance dont M. Wells avoue qu’elle constitue, au sens propre du mot, un « acte de foi », « l’Acte de Foi » par excellence. « C’est ma confession religieuse fondamentale. C’est une décision, prise volontairement et délibérément, de croire, un libre choix. » (p. 48). — Un socialisme. « Mes règles de conduite, écrit M. Wells, sont fondées sur… la croyance que la vie individuelle est un incident, une expérience, un moyen, dans la vie impérissable du sang et de la race. J’ai choisi de croire que la grande affaire de