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discute à perte de vue sur l’hérédité des caractères. On croit expliquer les variations de forme par la sélection. Vis-à-vis de ce système d’explication, se dresse un faisceau de plus en plus important de faits qui démontrent l’action morphogène des substances cellulaires. Mais, comme le font remarquer justement les auteurs, il faut éviter de retomber dans le paralogisme des weismanniens. Les « substances-caractères » n’ont pas plus de réalité objective que les « caractères » mendéliens.

Le déterminisme des mouvements est aussi de nature chimique. Il est réglé par le système nerveux central. Or le cerveau est essentiellement une machine chimique très compliquée (p. 186), dont l’activité oscille suivant un rythme propre. L’échec de la théorie des localisations prouve qu’il y a mieux à faire que de peser, mesurer et dessiner des cerveaux ; il s’agit de chercher leurs caractéristiques chimiques. Malheureusement, le problème est infiniment ardu.

Tels sont les points principaux traités dans ce livre. Les auteurs ne dissimulent ni les lacunes, ni les incertitudes actuelles de la biochimie. Mais leur résumé, fort bien fait, à le mérite de rassembler une masse considérable de faits impressionnants, de faire saisir l’importance du point de vue chimique dans l’orientation nouvelle de la biologie et de montrer à quel degré la science de Lavoisier pénètre aujourd’hui l’étude objective des phénomènes de la vie. Les idées exprimées, il y a un quart de siècle, par Le Dantec, y trouvent en particulier une éclatante confirmation.

La Géographie de l’histoire, Géographie de la paix et de la guerre sur terre et sur mer, par Jean Brunhes et Camille Vallaux, 1 vol. in-8 de ii-716 p., Paris, Alcan, 1921. – Les auteurs veulent « faire la part des influences géographiques dans l’histoire » (440) et, à la lumière de faits très nombreux, chercher des lois, des relations causales, systématiser. C’est un livre d’idées et de principes, non un simple recueil d’observations. Mais ces principes se rapportent à des faits géographiques. Nous donne-t-on une définition précise de ces derniers ? Or, tantôt le fait géographique semble ne dépendre que des conditions physiques du milieu mais tantôt et le plus souvent il entre dans le cadre de la géographie humaine, et du coup son domaine s’étend démesurément. C’est ainsi que, de ce nouveau point de vue, la Grande Muraille de la Chine, les voies napoléoniennes, les cathédrales, le régime des communications (670), la répartition des populations, les faits d’occupation « stérile, productive ou destructive » du sol, entre beaucoup d’autres, deviennent des réalités géographiques. Ajoutons-y les grands faits de l’histoire. Et cela parce que les hommes sont de « vrais agents géographiques au même titre que les cours d’eau et les glaciers » (20). Il faut distinguer cependant entre la part de la nature et celle de l’homme. Quelles sont leurs valeurs relatives ? Et si par déterminisme géographique on entend la simple influence du milieu physique sur l’homme, quelle est l’étendue de cette influence ?

À cette question capitale, la réponse est peut-être la seule de tout l’ouvrage qui soit catégorique. Si, en effet, on ne nous dit pas quelle est l’influence exacte du milieu physique, par contre on répète inlassablement, — ce qui est assez inattendu pour des géographes, — qu’elle est à peu près indéterminable, imprévisible et inopérante. À cause du facteur humain ; car « la seule vraie cause, en géographie humaine, c’est l’intelligence et la volonté humaines », tandis que « tout ce qui est condition extérieure est cause seconde ou occasionnelle » (22). On conclut qu’on ne peut parler de rapports constants, c’est-à-dire faire œuvre de science, en fonction des conditions naturelles, et l’on va jusqu’à dire « que, suivant les lieux et suivant les temps, ce n’est pas la même histoire qui procède des mêmes conditions physiques générales » (440). Le déterminisme géographique a ainsi ceci de très particulier, que les mêmes causes n’y produisent pas toujours les mêmes effets. Toujours est-il que les auteurs s’efforcent de démontrer l’inexistence du problème principal qu’ils se sont proposé de résoudre. En effet, s’il n’y a pas d’action prévisible et déterminable du cadre naturel, il n’y a plus, semble-t-il, de géographie de l’histoire ; il n’y a plus que de l’histoire tout court. Et c’est bien l’impression dominante, malgré quelques affirmations opposées, mais de portée généralement beaucoup moindre.

Il faut en tout cas abandonner toute tentative d’explication physique à grande portée des faits de l’histoire, alors que l’on eût aimé à voir préciser les modalités de cette action et ses limites. Or les auteurs, géographes de métier, mais peut-être historiens de tempérament, ne semblent avoir énoncé à ce sujet, au point de vue général, que des résultats et des principes négatifs, non des déterminations claires. « Il n’y a pas de déduction logique de l’histoire » (54).

Parmi les problèmes particuliers examinés, un des plus importants consiste à rechercher quelles sont les régions favorables à l’éclosion et au développement de l’État. Ce sont, d’une manière générale, —