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E. GILSON. — LA RELIGION ET LA FOI.

parce qu’il affirme à la suite de Luther le salut par la foi indépendamment des croyances ; symbolisme, parce que le dogme que la foi raisonnante interprétait en termes de vérité absolue se présente ici comme une expression, relative au temps et au lieu, de ce qu’il y a de permanent dans le sentiment religieux. Alors que les croyances de la foi raisonnante sont l’objet fixe et la cause de la foi, c’est la foi du symbolo-fidéiste qui est la cause de ses croyances : « Ces dogmes sont l’image que la foi se donne de soi-même, image que la réflexion approfondit ». À ce type défini s’apparentent la réforme luthérienne, le mouvement du modernisme catholique et aussi, sous une forme plus simple, cette « foi confiance » qui, sans théorie compliquée, se repose dans le sentiment de la présence de Dieu et dans la certitude que notre foi en lui ne sera pas trompée.

Avec le mysticisme nous pénétrons dans un ordre nouveau ; la connaissance discursive n’y est plus ni cause de la foi ni effet de la foi, elle est dépassée, oubliée ; le sentiment n’a plus à lutter pour conquérir une confiance qui menace sans cesse de s’éteindre, il s’est lui aussi dépassé, transfiguré. Le mysticisme est, en effet, soit un procédé pour franchir les difficultés intellectuelles ou sentimentales qui grèvent la vie religieuse du simple croyant, soit une attitude naïve qui les ignore ; dans l’un et l’autre cas le croyant « parvient à la certitude béatifique et s’y installe », son intelligence n’intervenant que pour préparer ce mode supérieur de contemplation et pour le justifier après qu’il a été obtenu.

Entre la foi ordinaire et le mysticisme il n’y a pas de solution de continuité ; bien au contraire, la foi tend d’elle-même vers la connaissance mystique. Posant devant le croyant un objet riche d’un contenu infini qu’il est incapable de saisir par les méthodes ordinaires de l’intelligence et du sentiment, elle l’invite à chercher des voies nouvelles, à pénétrer au delà des formules jusqu’à la réalité sous-jacente qu’elles voilent plutôt qu’elles ne l’expriment : « obscurité et pourtant révélation ; donc révélation mystérieuse ; secret et initiation, tel est le sens originaire du mot Mysticisme, et quelque chose de ce sens primitif, est resté dans le mot à travers-toute l’histoire de la chose ». Le point culminant de l’état mystique, c’est l’extase, et ici le psychologue voit s’ajouter à toutes les difficultés qui le retenaient déjà celle de se trouver devant des expériences intérieures dont l’essence même est d’être inexprimables. Il semble cependant que, soit imitation réciproque des mystiques lorsqu’ils