Page:Revue de métaphysique et de morale, numéro 3, 1912.djvu/114

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partie égale du souverain, et l’assemblée des volontés libres constitue effectivement ce souverain. Rousseau a ainsi proclamé à l’avance, sans le nommer, le suffrage universel ; et si les assemblées nationales de la Révolution avaient été plus imprégnées des doctrines de Jean-Jacques, elles n’auraient pas commis la faute mortelle, de diviser la France nouvelle en citoyens actifs et citoyens passifs. Rousseau a d’ailleurs le sentiment que le peuple doit avoir une certaine culture d’esprit. Il félicite les magistrats suisses d’avoir su former un peuple qui, par ses lumières et sa raison, est au-dessus des autres, et, citant à ce propos l’exemple de son père, il dit : « Qu’il me soit permis de citer un exemple dont il devrait rester de meilleures traces et qui sera toujours présent à mon cœur. Je ne me rappelle point sans la plus douce émotion la mémoire du vertueux citoyen de qui j’ai reçu le jour et qui souvent entretint mon enfance du respect qui vous était dû. Je le vois encore vivant du travail de ses mains et nourrissant son âme des vérités les plus les sublimes. Je vois Tacite, Plutarque et Grotius mêlés devant lui avec les instruments de son métier. » Et plus loin : « Tels sont ces hommes instruits et sensés dont, sous le nom d’ouvriers et de peuple, on a chez les autres nations des idées si basses et si fausses. » Pour permettre à tous les citoyens de mêler ces deux vies politique et individuelle, Rousseau aurait réclamé pour eux non seulement les lumières, mais aussi les loisirs que le travail manuel ne laisse pas à beaucoup.

Un homme n’a pas le droit d’aliéner sa propre liberté et à plus forte raison celle de ses descendants. L’exercice de la souveraineté est indivisible. On ne peut pas opposer à la légitimité du souverain celle d’un autre pouvoir. Il n’y a pas de compromission possible entre le pouvoir légitime et un autre, pas de collaboration entre l’arbitraire et le droit.

En établissant ces principes, Rousseau condamnait les tentatives hybrides de monarchie constitutionnelle et affirmait la légalité de la démocratie républicaine. Ce n’est pas à dire qu’il veuille aboutir à la confusion des pouvoirs, à l’anarchie. Précisément parce que la souveraineté est indivisible, une fraction du peuple, isolée du reste, ne peut rien. Le règne des factions est une usurpation comme une tyrannie de caste. — Puis, Rousseau distingue profondément, quoiqu’on ait prétendu le contraire, trois pouvoirs : judiciaire, législatif, exécutif. Il n’admet pas que le droit qu’a le souverain de faire les