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de la vie sont peu efficaces puisque cette expérience lui manque en grande partie. Mais quoiqu’il reste toujours quelque chose de l’enfant dans l’homme comme il y a déjà de l’homme dans l’enfant, le dressage en question ne saurait être toute l’éducation.

Il faut donc bien en venir à suspendre celle-ci aux fins mêmes pour lesquelles on l’entreprend. C’est pourquoi, comme je l’écrivais naguère, « pénétrer la conscience d’esprit social et du sentiment du bien public, pénétrer la vie sociale de conscience et de droiture, voilà le double programme que nous avons à remplir ». C’est cette idée dont je voudrais aujourd’hui mettre certains aspects en lumière.


Que la conscience morale se soit jusqu’ici beaucoup trop isolée en elle-même, c’est ce qui résulte déjà des observations qui précèdent. Car si l’on veut — et l’on comprend qu’il y ait intérêt à cela — que tous les hommes se sentent responsables devant la loi morale, si à ce désir s’ajoute la croyance à une sanction religieuse qui consacre cette responsabilité et qui menace le coupable même en dehors de cette vie, il faut nécessairement réduire cette loi à un minimum également accessible à tous, en limiter les exigences à ce qui semble au pouvoir du plus humble et du moins bien doué. À ce compte on ne peut guère demander à tous que la bonne volonté en laissant dans l’ombre la valeur des fins à poursuivre, la nature des résultats à obtenir, et encore plus celle des moyens à employer. Car de tels calculs, de telles connaissances dépassent les facultés de la moyenne des hommes. On sent trop injuste de punir celui à qui elles manqueraient. On pourrait sans doute se demander si en toute rigueur la bonne volonté est si uniformément répartie entre les hommes et si les uns ne naissent pas avec un tempérament moins violent, plus équilibré, se prêtant mieux à la maîtrise de soi ; si une intelligence plus pénétrante, une imagination plus vive ne sont pas aussi un secours pour la conscience en lui permettant de mieux sentir le prix de certains buts, de mieux sympathiser avec des intérêts étrangers ou lointains. Mais, encore une fois, il y a un intérêt pratique à dire aux hommes qu’ils peuvent, qu’ils sont responsables, et que la bonne volonté est à leur portée ; c’est une manière de créer cette bonne volonté et de susciter ce pouvoir. Les sociétés ne sont pas chargées de faire une psychologie exacte ; mais elles fabriquent avec un