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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

extérieures les unes aux autres, et s’entraînent les unes les autres dans la conscience comme les anneaux d’une chaîne, quelle différence y aura-t-il entre une chose et son idée ? En réalité l’idée de berceau par exemple n’est point du tout le berceau lui-même ; car le berceau lui-même exclut toutes les autres choses, et c’est ce qu’on exprime en disant qu’il occupe un lieu. L’idée du berceau est la pensée du berceau. Toutes les idées et la pensée tout entière y sont contenues implicitement ; il n’est donc pas surprenant qu’on trouve en cette idée d’autres idées et dans celles-là d’autres. L’idée de tombe est évoquée par l’idée de berceau. Au lieu d’admirer dans cette succession d’idées l’effet d’une association par contraste, il faut comprendre que l’idée de tombe n’est en réalité rien de nouveau, et qu’elle est partie intégrante de l’idée de berceau, car l’idée de berceau implique l’idée d’un homme qui est né, qui vit et qui mourra. Si, pensant au berceau, je ne pense pas implicitement à la tombe, c’est que je ne pense point au berceau, mais seulement à une corbeille d’osier ; et cette idée de corbeille d’osier implique alors nécessairement l’idée d’osier et l’idée de vannier, lesquelles en impliquent d’autres, et aussi indéfiniment. Une idée implique toutes les idées et n’est à vrai dire, que la traduction abrégée de toutes les idées dans un schème, une figure, un mot ou un système de mots. On n’a jamais plusieurs idées, ni simultanément, ni successivement ; ce qu’on appelle une autre idée, une nouvelle idée, ne saurait être que le même système d’idées exprimé autrement. Une idée ne remplace point une autre idée comme une chose prend la place d’une autre ; c’est toujours notre nature acquise qui vit, s’accroît et s’organise, tout élément déformant ou réformant tous les autres, comme si on introduisait dans une eau d’abord limpide des matières colorantes variées. Chaque idée nouvelle n’existe que par les autres ; avoir une idée nouvelle c’est en réalité les changer toutes, les penser toutes autrement ; c’est voir mieux dans la même idée beaucoup d’autres idées. L’idée est implication. Les choses se déroulent devant nous. Nous cherchons à les fixer et à les exprimer toutes en une idée identique et permanente. Penser c’est refaire l’idée présente indéfiniment ; c’est regarder si tout y tient et s’apercevoir que cela n’est pas possible. Si nous pouvions croire un seul instant que nos idées nous suffisent, nous dormirions. Une idée n’évoque une autre idée que parce qu’elle ne peut être si la seconde n’est pas. C’est en ce sens seulement que l’on peut comprendre que quelque chose ne soit pas