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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

Quantité.

Il est clair que l’on ne peut penser à un tout sans penser implicitement aux parties qui le composent. L’idée du tout ne serait point l’idée du tout si elle n’enfermait les idées des parties de ce tout. L’étendue, qui est une somme de parties, offre l’exemple d’une idée implicite que la plupart des hommes ont sans savoir qu’ils l’ont ; car Leibniz a montré que l’idée de l’étendue réelle implique l’idée de la Monade. De même l’idée d’un milliard implique la connaissance des parties d’un milliard ; et pourtant beaucoup d’hommes pensent un milliard sans penser explicitement à ses parties, ce qui ne veut point dire qu’ils n’y pensent pas du tout, puisque la connaissance d’une somme ne saurait être que la somme des connaissances des parties de la somme, mais seulement que les connaissances des parties, et des parties de ces parties, ne sont presque jamais explicites. Et c’est pourquoi, en apparence, le tout est souvent connu sans que ses parties le soient, par exemple l’Étendue, sans la Monade, le bruit d’un boisseau de blé qui tombe, sans la connaissance explicite du bruit que fait chaque grain, le bruit de la mer, sans la connaissance du bruit que fait chaque goutte d’eau, un son, sans la connaissance de chacun des sons plus simples et de chacun des petits chocs rythmés dont il est composé. Il n’en est pas moins incontestable, et c’est une nouvelle preuve qu’il faut se défier des apparences, que la connaissance des parties est nécessairement impliquée dans la connaissance du tout, l’analyse n’étant qu’un passage de l’implicite à l’explicite.

Nous pouvons donc dire que l’idée d’une chose conçue comme un tout enferme nécessairement les idées des parties qui composent cette chose, et des parties de ces parties. D’où nous pouvons tirer une première loi de l’évocation : l’effort de la pensée, appliqué à l’idée d’une chose conçue comme une totalité, ne peut manquer d’y découvrir les idées des parties de cette chose.

De même on ne peut penser à une pluralité sans penser implicitement à une totalité dont cette pluralité n’est qu’une partie. Par exemple je ne puis penser à un groupe de parties de l’espace sans penser à l’espace tout entier, car il faut bien que l’espace considéré soit dans un autre espace, et celui-ci dans un autre, et ainsi indéfiniment. Si je pense à un nombre quelconque, je pense implicitement, non seulement à des nombres plus petits qui sont ses parties, mais encore à des nombres plus grands dont il est une partie, sans quoi