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méprisé — qui pourrait bien être au fond, qui sait ? tout l’au-delà vrai, tout l’asile posthume, vainement cherché dans les espaces infinis... Quoi qu’il en soit, quelle raison avons-nous de juger a priori, ne connaissant pas le monde élémentaire, que le seul monde visible, le monde spacieux et volumineux, est le théâtre de la pensée, le siège de phénomènes varies et vivants ? Comment pouvons-nous le supposer, quand nous voyons à chaque instant jaillir un être individuel, avec sa physionomie propre et rayonnante, du fond d’un ovule féconde, du fond d’une partie de cet ovule, d’une partie qui va se circonscrivant et s’évanouissant à mesure qu’on la vise mieux, jusqu’à je ne sais quel point inimaginable ? Ce point, source d’une telle différence, comment le juger lui-même indifférencié ? Je sais bien ce qu’on va m’objecter: la prétendue loi de l’instabilité de l’homogène. Mais elle est fausse, mais elle est arbitraire, mais elle a été imaginée tout exprès pour concilier avec le parti pris de croire indifférencié en soi l’indistinct à nos yeux, l’évidence des diversités phénoménales, des exubérantes variations vivantes, psychologiques et sociales. La vérité est que l’hétérogène seul est instable et que l’homogène est stable essentiellement. La stabilité des choses est en raison directe de leur homogénéité. La seule chose parfaitement homogène — ou paraissant telle — dans la Nature, c’est l’Espace géométrique, qui n’a point change depuis Euclide. Veut-on dire simplement que le moindre germe d’hétérogénéité, introduit dans un agrégat relativement homogène, comme le levain dans une pâte, y provoque nécessairement une différenciation croissante ? Mais je le conteste : dans un pays d’orthodoxie, d’unanimité religieuse ou politique, l’introduction d’une hérésie, d’une dissidence, a bien plus de chance d’être résorbée ou expulsée avant peu que de croître aux dépens de l’Église ou de la Politique régnante. Ce n’est pas que je nie la loi de différenciation dans ses applications organiques ou sociales, mais elle est bien mal comprise si elle empêche de voir la loi d’uniformisation croissante qui s’y mêle et s’y entrelace. En réalité, la différenciation dont on veut parler, c’est plutôt l’adaptation dont nous parlons ; et, par exemple, la division du travail dans nos sociétés n’est que l’association ou la co-adaptation progressive des divers travaux par des inventions successives. Primitivement circonscrite au ménage, elle va se répétant et s’amplifiant sans cesse, s’étendant d’abord à la cité, où les divers ménages, autrefois semblables les uns aux autres, mais différencies intérieurement,