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de plus en plus facilement quand les États s’agrandissent ; la statistique, dont l’objet propre est de rechercher et de démêler des quantités vraies dans le fouillis des faits sociaux et qui y réussit d’autant mieux qu’elle s’attache à mesurer, au fond, à travers les actes humains additionnés par elle, des masses de croyances et de désirs. La statistique des valeurs de Bourse exprime les variations de la confiance publique dans le succès de telles ou telles entreprises, dans la solvabilité de tels ou tels États emprunteurs, et les variations du désir public, de l’intérêt public, auquel il est donné satisfaction par ces emprunts ou ces entreprises. La statistique industrielle ou agricole exprime l’importance des besoins généraux qui réclament la production de tels ou tels articles ou la convenance présumée des moyens mis en œuvre pour y répondre. La statistique judiciaire elle-même n’est intéressante à consulter dans ses dénombrements de procès ou de délits que parce qu’on y lit, à travers les lignes, la progression ou la régression, année par année, de la proportion des désirs publics engagés dans les voies processives ou délictueuses, par exemple de la tendance à divorcer ou de la tendance à voler, et aussi bien de la proportion des espérances publiques tournées du côté de certains procès ou de certains délits. Il n’est pas jusqu’à la statistique de la population qui, en tant que sociologique — car elle est simplement biologique à d’autres égards et a trait à la propagation de l’espèce en même temps qu’a la durée et aux progrès des institutions sociales — exprime la croissance ou la décroissance du désir de paternité et de maternité, du désir du mariage, ainsi que de la persuasion générale qu’on trouve le bonheur à se marier et à former des unions fécondes.

Mais à quelle condition les forces de croyance et de désir emmagasinées dans des individus distincts peuvent-elles légitimement être additionnées ? A la condition d’avoir le même objet, de porter sur une même idée à affirmer, sur une même action à exécuter. Mais comment cette convergence de direction, qui rend les énergies individuelles susceptibles de former un tout social, s’est-elle produite ? Est-ce spontanément, par une rencontre fortuite ou une sorte d’harmonie préétablie ? Non, si ce n’est dans des cas bien rares, et encore ces exceptions apparentes, si on avait le temps de les presser, se trouveraient-elles confirmer la règle. Cette conformité minutieuse des esprits et des volontés qui constitue le fondement de la vie sociale, même aux temps les plus troubles, cette présence