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aveugle-né sont exactement celles des géomètres doues de la vue et qu’un plan de campagne suggéré par un général d’humeur bilieuse et mélancolique à des généraux de tempérament vif et sanguin ou flegmatique et résigne, ne laisse pas d’être tout à fait le même : il suffit pour cela qu’il ait trait à la même série d’opérations, et d’autre part, qu’il soit voulu par eux avec une force égale de désir, en dépit de la manière de sentir toute spéciale, tout individuelle, qui pousse chacun d’eux à désirer. L’énergie de tendance psychique, d’avidité mentale, que j’appelle le désir, est, comme l’énergie de saisissement intellectuel, d’adhésion et de constriction mentale, que j’appelle la croyance, un courant homogène et continu qui, sous la variable coloration des teintes de l’affectivité propre à chaque esprit, circule identique, tantôt divise, éparpillé, tantôt concentre, et qui, d’une personne à une autre, aussi bien que d’une perception à une autre dans chacune d’elles, se communique sans altération.

Quand j’ai dit que toute science vraie aboutit à un domaine propre de répétitions élémentaires, innombrables et infinitésimales, c’est comme si j’avais dit que toute science vraie repose sur des qualités qui lui sont spéciales. Quantité, en effet, c’est possibilité de séries infinies de similitudes et de répétitions infiniment petites. Voila pourquoi je me suis permis d’insister ailleurs sur le caractère quantitatif des deux énergies mentales qui, comme deux fleuves divergents, arrosent le double versant du moi, son activité intellectuelle et son activité volontaire. Si on nie ce caractère, on déclare impossible la sociologie. Mais on ne peut le nier sans se refuser à l’évidence, et la preuve que les quantités dont il s’agit sont bien proprement sociales, c’est que leur nature quantitative apparaît d’autant mieux, saisit l’esprit avec une netteté d’autant plus vive, qu’on les envisage en masses plus volumineuses, sous la forme de courants de foi ou de passion populaire, de convictions traditionnelles ou d’opiniâtretés coutumières, embrassant des groupes d’hommes plus nombreux. Plus une collectivité s’accroît et plus la hausse ou la baisse de l’opinion, c’est-à-dire du croire ou du vouloir national, affirmatif ou négatif, relativement à un objet donné — hausse ou baisse exprimée notamment par les cotes de la Bourse — y devient susceptible de mesure et comparable aux mouvements de la température ou de la pression atmosphérique ou à la force vive d’une chute d’eau. C’est parce qu’il en est ainsi que la statistique se développe