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Ce n’est pas tout, à mon avis, — mais je le dis bien bas, de peur d’encourir le grave reproche de faire de la métaphysique... je crois qu’il est impossible d’expliquer les dissemblances dont je parle, — ne serait-ce que ces inégalités d’emplacement et cette capricieuse distribution de matière à travers l’espace — dans l’hypothèse, trop chère aux chimistes, en cela vraiment métaphysiciens, eux, d’éléments atomiques parfaitement semblables. Je crois que la prétendue loi de Spencer sur l’instabilité de l’homogène n’explique rien, et que, par suite, la seule manière d’expliquer la floraison des diversités exubérantes à la surface des phénomènes est d’admettre au fond des choses une foule tumultueuse d’éléments individuellement caractérisés. Ainsi, de même que les similitudes de masse se sont résolues en similitudes de détail, les différences de masse, grossières et bien visibles, se sont transformées en différences de détail infiniment fines. Et, de même que les similitudes de détail permettent seules d’expliquer les similitudes d’ensemble, pareillement les différences de détail, ces originalités élémentaires et invisibles que je soupçonne, permettent seules d’expliquer les différences apparentes et volumineuses, le pittoresque de l’univers visible.

Voilà pour le monde physique. Pour le monde vivant, il n’en va pas autrement. Plaçons-nous, comme l’homme primitif, au milieu d’une forêt. Il y a la toute la faune et toute la flore d’une région, et nous savons maintenant que les phénomènes si dissemblables présentés par ces plantes et ces animaux divers se résolvent, au fond, en une multitude de petits faits infinitésimaux résumés par les lois de la biologie, de la biologie animale ou végétale, peu importe ; on confond les deux à présent. Mais, au début, on différenciait profondément ce que nous assimilons, tandis qu’on assimilait bien des choses que nous différencions. Les similitudes et les répétitions qu’on apercevait, et dont se nourrissait la science naissante des organismes, étaient superficielles et décevantes : on assimilait des plantes sans parenté entre elles, dont le feuillage et le port se ressemblaient vaguement, pendant qu’on tranchait un abîme entre les plantes de la même famille, mais de silhouette et de taille très inégales. La science botanique a progressé quand elle a appris la subordination des caractères dont les plus importants, c’est-à-dire les plus répétés et les plus significatifs -comme accompagnes d’un cortège d’autres similitudes -n’étaient pas les plus voyants, mais, au contraire, les plus cachés, les plus menus, à savoir ceux