Page:Revue de métaphysique et de morale, 1898.djvu/223

Cette page n’a pas encore été corrigée

du petit très nombreux au grand très rare, l’évolution de la guerre, et en général de tout phénomène social, semble contredire l’évolution des sciences telle que je l’ai exposée jusqu’ici. Mais, en fait, elle n’en est que la contre-épreuve et la confirmation. C’est justement parce que tout, dans le monde des faits, va du petit au grand, que, dans le monde des idées, miroir renverse du premier, tout va du grand au petit et, par les progrès de l’analyse, n’atteint qu’en dernier lieu les faits élémentaires, véritablement explicatifs.

Revenons. À chacune de ses étapes, à chacun de ses élargissements, qui sont avant tout des apaisements, la guerre en somme a diminué ou du moins s’est transformée d’une manière favorable à son évanouissement ultérieur. Chaque agrandissement des États, de tribus devenues cités, de cités royaumes, empires, immenses fédérations, a été la suppression des combats dans une région de plus en plus étendue. Il y a toujours eu sur la terre, jusqu’à notre époque, des régions, même étroites, une vallée resserrée entre des montagnes, une grande île, un fragment bien découpe d’une surface continentale, plus tard le pourtour d’une mer intérieure, qui ont été regardées longtemps comme une sorte d’univers distinct par leurs habitants ; et, quand ce petit univers-là était enfin pacifié par une série de conquêtes qui en avaient réduit toutes les localités sous un même joug, il semblait que le but final, le but toujours poursuivi, la pacification universelle, fût atteint. On se reposait ainsi un moment dans l’empire des Pharaons, dans l’Empire chinois, dans le Pérou des Incas, dans certaines îles du Pacifique, dans l’Empire romain. Le malheur était qu’à peine entrevu, le terme fascinateur reculait, la terre apparaissait plus grande qu’on ne l’avait cru ; des relations se nouaient, bientôt belliqueuses, avec de puissants voisins, dont on ne soupçonnait pas jusque-là l’existence, et qu’il fallait conquérir aussi, ou par lesquels il fallait être conquis, pour asseoir définitivement la paix du monde. La continuation des guerres, c’est en somme l’extension graduelle du champ de la paix. Mais cette extension ne saurait être indéfinie ; ce mirage anxieux ne saurait être à jamais tourmentant, puisque ce globe a des limites et que depuis longtemps nous en avons fait le tour. Ce qui caractérise notre époque, ce qui la différencie profondément, en un sens, de tout le passé, quoique les lois de l’histoire s’appliquent à elle comme à ses devancières, ni plus ni moins, c’est que, pour la première fois, la politique internationale des grands États civilisés embrasse dans