Page:Revue de métaphysique et de morale, 1898.djvu/214

Cette page n’a pas encore été corrigée

raison de la contrariété réelle ou supposée des forces par lesquelles ces états ont été produits. Déjà nous voyons par là qu’on doit éliminer, dès le début, comme autant de pseudo-oppositions, toutes les antithèses des mythologies ou des philosophies de l’histoire qui se fondent sur de prétendues contrariétés de nature, entre deux peuples, entre deux races, entre deux formes de gouvernement : la république et la monarchie par exemple (voir à cet égard certains hégéliens), entre l’occident et l’orient, entre deux religions : la chrétienté et l’islam, entre deux familles de langues innées : langues sémitiques et langues indo-européennes. Ce sont là des contrastes accidentellement et partiellement vrais si l’on envisage les côtés par lesquelles les choses dont il s’agit, dans certaines circonstances plus ou moins passagères, nient et affirment la même idée, désirent et repoussent le même but, mais ce sont des contrastes chimériques si, comme semblent le croire beaucoup d’anciens philosophes, l’antipathie de ces choses les unes à l’égard des autres est jugée essentielle, absolue, innée.

Toute opposition vraie implique donc un rapport entre deux forces, deux tendances, deux directions. Mais les phénomènes par lesquels ces deux forces se réalisent peuvent être de deux sortes : qualitatifs ou quantitatifs, c’est-à-dire formes de phases hétérogènes ou de phases homogènes. Une série de phases hétérogènes est une évolution quelconque, qui peut être toujours conçue (à tort ou a raison) comme réversible, comme susceptible de rétrograder suivant un chemin précisément inverse. Par exemple, d’un morceau de bois un chimiste, moyennant une série d’opérations chimiques, finira par extraire de l’eau-de-vie, ce qui ne veut pas dire que, par une série d’opérations inverses, il sera possible de reconstituer le morceau de bois, mais si ce n’est pas possible, c’est au moins imaginable. Tel est le rêve d’anciens philosophes en ce qui concerne les transformations de l’humanité. Une série de phases homogènes est cette évolution d’un genre spécial qu’on appelle augmentation ou diminution, croissance ou décroissance, hausse ou baisse. Il n’est pas nécessaire d’insister pour faire remarquer combien, à mesure que la science sociale se développe avec la civilisation, les oppositions précises et mesurables de cet ordre vont se révélant et se multipliant, sous la forme du cours de la Bourse, des diagrammes statistiques où la hausse et la baisse de telle ou telle valeur, la hausse et la baisse de tel ou tel genre de criminalité, du suicide, de la natalité, de la matrimonialité,