Page:Revue de métaphysique et de morale, 1898.djvu/21

Cette page n’a pas encore été corrigée

de la connaissance scientifique. S’il en était ainsi, l’histoire pragmatique, qui est toujours un enchaînement de causes et d’effets, ou l’on nous apprend toujours que telle bataille ou telle insurrection a eu telles conséquences, serait le plus parfait échantillon de la science. L’histoire cependant, nous le savons, ne devient une science que dans la mesure ou les rapports de causalité qu’elle nous signale apparaissent comme établis entre une cause générale, susceptible de répétition ou se répétant en fait, et un effet général, non moins répète ou susceptible de l’être. — D’autre part, les mathématiques ne nous montrent jamais la causalité en œuvre ; quand elles la postulent sous le nom de fonction, c’est en la dissimulant sous une équation. Elles sont pourtant une science et le prototype même de la science. Pourquoi ? Parce que nulle part il n’est fait une élimination plus complète du côté dissemblable et individuel des choses, nulle part elles ne se présentent sous l’aspect d’une répétition plus précise et plus définie, et d’une opposition plus symétrique. La grande lacune des mathématiques est de ne pas voir ou de mal voir les adaptations des phénomènes. De la leur insuffisance si vivement sentie par les philosophes, même et surtout géomètres, tels que Descartes, Comte, Cournot.


La répétition, l’opposition, l’adaptation : ce sont là, je le répète, les trois clefs différentes dont la science fait usage pour ouvrir les arcanes de l’univers. Elle recherche, avant tout, non pas précisément les causes, mais les lois de la répétition, les lois de l’opposition, les lois de l’adaptation des phénomènes. — Ce sont trois sortes de lois qu’il importe de ne pas confondre, mais qui sont aussi solidaires que distinctes : en biologie, par exemple, la tendance des espèces à se multiplier suivant une progression géométrique (loi de répétition) est le fondement de la concurrence vitale et de la sélection (loi d’opposition), et la production des variations individuelles, des aptitudes et des harmonies individuelles différentes, ainsi que la corrélation de croissance (lois d’adaptation) sont nécessaires à leur fonctionnement. — Mais, de ces trois clefs, la première et la troisième sont beaucoup plus importantes que la seconde : la première est le grand passe-partout ; la troisième, plus fine, donne accès aux trésors les plus caches et les plus précieux ; la seconde, intermédiaire et subordonnée, nous révèle des chocs et des luttes d’une utilité passagère, sorte de moyen terme destiné à s’évanouir peu a peu, quoique jamais complètement, et à ne disparaître même partiellement qu’après de nombreuses transformations et atténuations.