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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

Suivons pas à pas la critique de M. Couturat.

L’ensemble des déplacements possibles d’un corps solide forme un groupe de transformations ; ce groupe constitue l’espace ; ce groupe est d’ordre 6.

« Mais, demande M. Couturat, comment sait-on que ce groupe est d’ordre 6 ? Parce que tout déplacement peut être regardé comme la combinaison de six mouvements élémentaires indépendants, c’est-à-dire, au fond, parce que la position d’un corps dans l’espace est déterminée par six variables indépendantes. Or, si l’on cherche la raison de ce dernier fait, on trouve finalement que c’est parce que l’espace a trois dimensions. La pétition de principe est donc évidente. »

Mais ce n’est pas du tout comme cela que j’ai raisonné.

Voici la marche que j’attribue à l’esprit dans la formation de la notion d’espace :

1o  Il commence par distinguer, parmi les changements dont il est témoin, certains d’entre eux qu’il appelle déplacements (voir mon article, page 639) ;

2o  Il est amené à regarder deux changements différents comme le même déplacement (page 639)

3o  Il reconnaît que deux déplacements consécutifs sont équivalents à un déplacement unique qui est comme leur résultante (loi d’homogénéité, page 640).

À ce moment, il ne sait pas encore la géométrie, il ne sait pas que l’espace a trois dimensions, il ne sait pas que la position d’un corps est déterminée par six quantités.

Mais il commence à étudier expérimentalement les lois suivant lesquelles se composent les déplacements. L’expérience lui apprend qu’ils se comportent comme les substitutions d’un groupe d’ordre 6.

Elle lui apprendrait autre chose s’il était placé dans un de ces mondes que j’ai appelés non-euclidiens.

« Comment donc sait-on que le groupe est d’ordre 6 ? » Ce n’est pas par un raisonnement géométrique, c’est par expérience.

Mais il faut bien s’entendre. L’expérience nous apprend seulement que les déplacements se comportent à peu près comme les substitutions d’un groupe d’ordre 6. Ce n’est donc pas l’expérience qui nous fournit la notion de ce groupe. Cette notion préexiste ou, plutôt ce qui préexiste dans l’esprit c’est la puissance de former cette notion.

L’expérience n’est pour nous qu’une occasion d’exercer cette puis-