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P. LACOMBE. – DU COMIQUE ET DU SPIRITUEL. 583 par suite trop prévue. Et cette altération de l’expression directe, cette sorte d’infléchissement, tient d’abord à. la fiction de sentiments qu’on n’a pas.

Dans le Jupiter et la Besace de La Fontaine, le singe passe en revue les animaux ses compagnons. Il arrive à l’ours et le trouve bien mal bâti le dire brutalement n’est pas dans le goût du singe, car il a de l’esprit. Comment indiquer la chose sans la dire ? Quand on est mal fait, il y a une conduite à tenir si l’on est un peu avisé ne se produire que modérément en public ne se marier pas ou au moins pas avec une jolie femme s’habiller d’une façon peu voyante ne pas donner libéralement sa photographie. Si l’on conseillait à l’ours quelqu’une de ces précautions, cela suggérerait l’idée de se demander pourquoi, et ce pourquoi serait bientôt trouvé. Mais quelle précaution choisir de préférence dans l’intérêt de l’effet ? Évidemment la plus singulière, la plus étrange ; car on s’en demandera plus vivement « pourquoi », et la réponse aussi surgira plus vite, et avec plus de relief. Le singe, homme d’esprit, choisit en conséquence « Jamais, s’il veut m’en croire, il ne se fera peindre ». S’il avait dit « Jamais, s’il veut m’en croire, il ne se mariera », il eût assurément moins bien trouvé.

Faire entendre une chose,qu’on ne dit pas expressément par une autre chose qui devient comme le signe ou le substitut de la première, faire entendre la cause, comme fait le singe, par l’une de ses conséquences, ou, au contraire, suggérer l’effet par la cause, ou le tout par l’une de ses parties, voilà le procédé. Et plus ce qu’on sous-entend, et que cependant on suggère, est ample, détaillé, nombreux, par comparaison avec l’expression abrégée, amincie, effilée, plus il y a de sous-entendu, et plus on paraît spirituel. Le langage usuel a ici une bonne métaphore. Ces façons de dire sont des « pointes » ou des « traits d’esprit. Il semble en effet qu’on fait voir toute, une chose en la montrant rien que par l’un de ses angles ou par une arêteaiguë.

Ceci nous conduit à un genre d’esprit assez inférieur, artistiquement parlant.

Dans le Demi-monde de Dumas, une. femme parle d’un jeune homme qui a déjà tué quelqu’un en duel. « Ah ! dit-elle, c’est bien entrer dans la vie. Oui, dans la vie des autres », lui répond-on. L’esprit ici consiste à saisir au vol les termes d’ « entrée » et de « vie » et de profiter d’une autre acception qu’ils ont pour retorquer